jeudi 5 mars 2009

Le volcan Chaiten (07/02/09)

Une rumeur court dans le sud du Chili : tous les cyclistes que nous croisons racontent la même histoire, celle de la ville de Chaiten détruite par l’éruption du volcan situé aux portes de la ville. Tous ont le même mot en bouche : une catastrophe, une grande tristesse. Le témoignage le plus marquant fut certainement celui d’un cycliste néo-zélandais qui est arrivé a Chaiten par bateau sans même savoir qu’il y avait eu une éruption. « Le choc a été violent … », nous raconte-t-il.

Que s’est-il donc passé a Chaiten ? Le 2 mai 2008, le volcan Chaiten explose après une très longue période de repos. L’explosion d’une violence inouïe envoie des cendres jusqu'à Buenos Aires, mais épargne miraculeusement la ville de Chaiten, située à 10 kilomètres seulement au pied du volcan. Par la suite, des coulées de boue détruiront finalement une partie de la ville. Le gouvernement chilien ordonne l’évacuation immédiate de la ville. Le bilan humain est miraculeusement léger : une personne est décédée à la suite d’une crise cardiaque.

En nous approchant de Chaiten, la rumeur enfle. Déjà, a plus de 50 kilomètres du lieu de la catastrophe, les premiers stigmates de l’éruption sont là : les glaciers aux sommets des montagnes environnantes sont ternes, recouverts d’une pellicule grisâtre, qui n’est autre que la cendre expulsée par le volcan il y a près d’un an. A 40 kilomètres, le bord de la route montre un amoncellement de cendres grises compactées par la pluie. A 30 kilomètres, nous rentrons dans la zone rouge, à risque. Un poste de carabiniers bloque l’accès : « Ou allez-vous ? ». « A Chaiten », répondons-nous. « Vous savez qu’il n’y a rien là-bas, pas d’électricité, pas d’eau potable, et très peu de vivres et provisions ». Nous savons tout cela, sans vraiment le savoir. Nous demandons s’il est possible d’interviewer le chef du poste pour collecter des informations sur l’évacuation. Très aimable, le carabinier de garde nous présente au major de la section, qui répond aimablement à nos questions.
Le major, un homme rondouillet aux cheveux blonds et aux yeux clairs, nous explique qu’une à deux semaines avant l’explosion du volcan, de nombreux tremblements de terre ont été enregistrés ans la région. Les deux derniers jours avant l’explosion, 40 tremblements de terre ont été ressentis pas la population, en plus des centaines d’autres trop petits pour être perceptibles. Le problème, c’est que le volcan Chaiten n’était pas connu comme étant actif, et tout le monde, y compris les volcanologues, pensait que c’était le volcan voisin, le Michi Mahuida nettement moins dangereux car beaucoup plus distant, qui entrait en éruption. Ce fut une énorme surprise que, dans la nuit du 2 mai, c’est aux portes de la ville qu’une énorme explosion a projeté une nuage de cendre a 30 km d’altitude, prenant les autorités de court. L’évacuation fut ordonnée immédiatement et le lendemain de l’éruption, les carabiniers lancèrent des messages d’évacuation sur les radios en expliquant les consignes, et des bateaux ont été affrétés pour évacuer la population de Chaiten par la mer. 95 % de la population accepta de quitter les lieux sans broncher. Il faut dire qu’un demi mètre de cendre était tombé, rendant la vie impossible et l’eau impropre a la consommation. En une journée, les 3500 habitants de Chaiten, ainsi que les animaux domestiques, ont été évacués. Nous remercions le major pour son amabilité et le laissons partir en mission, justement à Chaiten.


Nous prenons alors la route de la ville. Ce jour-là, le temps est magnifique : un soleil sur un ciel bleu immaculé illumine les montagnes et la foret. Pourtant, l’énorme glacier qui recouvre le massif du volcan Michi Mahuida est terni par une fine couverture de cendres, et la foret semble comme poussiéreuse. Malgré l’effort du soleil a faire revivre la région, le poids le l’éruption persiste.

Au fur et a mesure que nous nous rapprochons de Chaiten, l’épaisseur de cendre sur le bord de la route augmente. Les lits des rivières en sont remplis. Des arbres morts encore debout jonchent le fond de la vallée. Nous ne sommes qu’à quelques km de Chaiten, et nous n’apercevons toujours pas notre but. Un éperon rocheux nous cache la vue. Nous le contournons par la gauche en entrant dans le faubourg de la ville, quasi désert. Soudain, Caroline me souffle : « Il est bizarre ce nuage là-haut, a droite … ». Ce n’est pas un nuage, c’est le panache de gaz libéré par le volcan, encore caché ! Mais 100 mètres plus loin, le décor s’ouvre pleinement depuis le pont qui enjambe la rivière et sur lequel nous ne pouvons que nous arrêter tant le spectacle nous retourne l’estomac.


Le volcan est là, en face de nous, crachant inexorablement un nuage de vapeur blanche poussé vers l’argentine par les vents marins. Au pied du panache gazeux, un dôme de lave monstrueux et chaotique est en équilibre instable et prêt à s’effondrer. Le couleur rougeâtre du dôme évoque les bouches de l’enfer, ouvertes devant nos yeux ahuris. Tout autour du volcan, la foret morte est rouge et recouverte de cendres. Sous nos pieds, la rivière coule en minces filets d’eau rouge sur un lit de cendres. Dans notre dos, c’est la désolation. Une plaie béante est ouverte dans la ville par la rivière qui s’est transformée en torrent de boue dévastateur après l’éruption. Une partie de Chaiten n’est plus. La rivière a emporté toutes les maisons sur une largeur de plusieurs centaines de mètres. Quelques vestiges instables résistent pour ne pas s’effondrer, alors que le sommet de certains toits émergent de cette mer de cendres. Nous n’osons pas bouger devant un tel spectacle.

Apres avoir repris nos sens. Nous nous engageons dans les rues désertes de la ville. La blancheur des cendres illuminées par le soleil donne une ambiance particulière. Seuls quelques carabiniers en patrouille veillent à ce qu’aucun pillage n’ait lieu dans les maisons abandonnées par leurs habitants. Quelques touristes stupides, débarqués du bateau du matin, se réjouissent de ce spectacle comme s’ils se trouvaient dans un parc d’attraction. Nous traversons la ville jusqu'à la cote, ou nous nous rendons compte que les cendres transportées par la rivière ont en grande partie comblé la baie, repoussant le rivage de plusieurs kilomètres par endroit et formant un immense delta. Au milieu du delta, des maisons arrachées gisent a moitié émergeantes des cendres, ainsi que quelques carcasses de bateau de pêcheurs. L’ancien office du tourisme se retrouve pathétiquement isolé au milieu de cet océan de gris.



Nous nous dirigeons ensuite au centre non détruit pour acheter à manger. Soudain, un nuage rougeâtre s’élève du dôme de lave : une partie vient de s’effondrer ! Nous nous précipitons sur nos appareils photo, mais il est déjà trop tard. Derrière nous, un vieil homme assis dans l’ombre nous regarde, amusé : « Le dôme tombe, hein ! ». Il est maigre et porte un chapeau et de larges lunettes carrées. Son sourire exhibe sa dentition clairsemée. Nous entamons la discussion : « Je suis un des 5 personnes à être resté ! », nous dit-il, fièrement. « Non, je n’ai pas eu peur ! Très impressionné, ça oui. Mais pas peur ! Je savais que je n’avais rien à craindre. Ce volcan n’est pas dangereux, on ne craint rien ici ! Il ne crache que des cendres, rien de plus. » Il nous dit tout cela avec une certitude déconcertante … « J’ai été le chef du village pendant les longs mois de l’évacuation, le chef de 5 personnes ! », nous dit-il en s’esclaffant. « Mais j’ai souffert de la solitude, c’était vraiment le plus dur. »

Cet irréductible ne comprend pas la décision récente du gouvernement de ne pas reconstruire Chaiten, mais de construire une autre ville, 10 kilomètres plus loin, dans une zone dans risque. Pourtant, il ne s’imagine pas la chance qu’il a eu avec un tel monstre aux portes de la ville : une éruption classique aurait généré une nuée ardente, ou coulée pyroclastique, qui aurait détruit la ville et tué 3500 personnes dans leur sommeil en moins de 5 minutes. L’histoire est là pour en témoigner : Pompéi, en 79 avant J.-C., et Saint-Pierre de la Martinique en 1909, entre autres, furent rasées par les éruptions respectives du Vésuve et de la Montagne Pelée, tuant instantanément tous leurs habitants.

Nous quittons cet homme, un peu abasourdis par son discours qui transpire l’ignorance. Comment est-ce possible que les gens d’une ville située a 10 km d’un volcan en éruption ne soient pas au courant des risques associés au volcan ? La réponse est simple : le Chili, qui comporte 2000 volcans, qui est sujet aux plus gros séismes sur Terre, et dont l’économie repose sur l’exploitation de ses ressources géologiques, ne dispense aucun cours de sciences de la Terre avant l’université. Ainsi, l’immense majorité de la population n’a aucune conscience des phénomènes géologiques qui se passent dans leur pays, et donc des risques naturels.

Mais 10 jours après notre passage à Chaiten, le volcan a donné raison au gouvernement. Une augmentation soudaine de l’activité sismique a induit l’effondrement du dôme de lave et la reprise de l’activité explosive. Sur ordre gouvernemental, Chaiten a de nouveau été évacuée, et officiellement abandonnée…
Plus d'informations (en espagnol): El Mercurio