jeudi 2 avril 2009

Le Paso Vergara (19 - 24/03/09)

« Tu verras », dis-je à Caroline, « la traversée du désert de Neuquén par la route 40 sera un cauchemar, mais le passage du col Vergara sera plus facile ».
Nous partons de Chos Malal quelque peu anxieux de la traversée qui nous attend : 150 kilomètres de désert sur une route en très mauvais état, avec très peu de ravitaillement en eau. Contre toute attente, nous n’avons aucune peine à traverser ce désert, la route comportant des segments bitumés. Pour dormir, nous trouvons refuge dans des cabanes de gauchos abandonnées, sur les rives du Rio Grande, où nous sommes abrités du vent. Nous arrivons donc 250 km plus loin, à Bardas Blancas sans grand problème, relativement frais.









Je me sens un peu soulagé car je connaissais bien cette route que j’ai parcourue à de nombreuses reprises en voiture, et je m’attendais à souffrir. C’est donc assez contents que nous nous engageons dans la vallée du Rio Grande, en amont de Bardas Blancas. Le paysage est fantastique, les montagnes immenses et recouvertes de touffes d’herbe jaunes s’élancent à plus de 3000 mètres.
Après une quinzaine de kilomètres, nous nous arrêtons dans une petite épicerie totalement isolée afin de compléter la liste de nourriture dont nous avons besoin pour vivre en autonomie pendant 4 jours. Un homme de l’autre côté du rio sort de sa petite maison en courant et traverse avec son chien la rivière en furie grâce à une nacelle accrochée au bout d’un cable, et vient ouvrir la petite épicerie lorsque nous atteignons l’entrée. Il s’agit d’un homme svelte et dynamique, dont la peau ridée et marquée dénonce un âge avancé. Nous entamons la discussion. L’homme est intarissable d’histoires, et nous raconte les fêtes populaires de la région. Faustino nous parle de son pays, de ses montagnes et de la pureté de l’environnement dans sa Cordillère. Son pays, il le porte dans son cœur, et l’exprime par la musique folklorique de la Cordillère : il est en fait un des fondateurs d’un groupe folklorique très connu dans la région. Il attrape alors la guitare posée sur une petite table au coin de la petite pièce, et commence à nous chanter différentes chansons de son pays. Nous sommes bercés par cette douce musique, qui respire la Cordillère et les gauchos.




Nous quittons Faustino la tête pleine de rêves. Nous suivons la vallée du Rio Grande qui remonte sur plus de 120 kilomètres en pente douce jusqu’à la frontière avec le Chili, au sommet de la chaine. En route, nous croisons des troupeaux de chèvres, de vaches et chevaux dirigés par quelques gauchos et leurs chiens. Ils redescendent tous vers la vallée, avant que l’hiver ne s’empare de la Cordillère. C’est la transhumance, qui sera fêtée comme il se doit dans la vallée dès que tous les troupeaux seront arrivés dans la vallée et protégés des agressions de l’hiver montagnard.



Mais le rêve sera de courte durée. Les vents violents qui balaient la vallée ont accumulé du sable tout le long de la route. Il nous est quasiment impossible de pédaler : les roues s’enfoncent dans la route meuble. Nous avons l’impression qu’une main tire notre monture vers l’arrière, nous stoppe et nous déséquilibre en permanence. Tous les 50 mètres, nous devons descendre de selle et pousser jusqu’à trouver une portion de route plus dure qui nous permette de pédaler de nouveau. Nous progressons à une vitesse désespérément lente : 20 kilomètres par demi-journée. Il nous en reste encore près de 80 à parcourir, et il nous faudra être patients …








Heureusement, à 40 kilomètres du sommet du col, la route devient plus manœuvrable, plus dure, et nous avançons plus rapidement. Nous prenons soin néanmoins de prendre de nombreuses photos du paysage magnifique dans lequel nous évoluons. Les montagnes qui nous dominent ont des airs de plateau tibétain. La lumière du matin illumine de jaune doré la végétation séchée par le soleil et le vent. Les roches stratifiées colorent le paysage en multiples bandes rouges, noires, jaunes, et parfois vertes. Nous sommes au cœur de la Cordillère, isolés dans un environnement apparemment hostile, et nous ressentons pourtant une sérénité comme rarement nous avons ressenti jusque là. Nous comprenons alors les gauchos, leur amour pour la Cordillère, « el campo » comme ils l’appellent, et l’environnement pur et sauvage qu’ils chantent dans leur musique folklorique.





Nous roulons depuis deux jours et demi dans cette magnifique vallée, et nous sommes à 30 kilomètres seulement du sommet du col. Il est midi passé, et nous commençons à ressentir une petite faim. Nous apercevons au loin une petite cabane de gaucho, et nous décidons de l’atteindre pour prendre notre déjeuner à l’abri du soleil. En nous approchant de la cabane, nous apercevons un nuage de poussière s’élever depuis la route, de l’autre côté de la cabane : un grand troupeau de vaches et de chevaux redescendent par la route, accompagné de 4 gauchos à cheval et d’un seul chien. Nous arrivons en même temps à la cabane, et nous entamons la discussion. Ils pensaient également s’arrêter à la cabane pour déjeuner. Sauf que leur déjeuner est quelque peu plus élaboré que le nôtre : ils préparent un vrai « asado de campo », un barbecue improvisé en plein milieu de la montagne. « Vous voulez vous joindre à nous ? », nous demandent-ils. Sans hésiter, nous acceptons !
En quelques minutes, le feu est allumé et les morceaux de viande embrochés sur une lame et prêts à griller. Nous nous installons tous autour du feu, et discutons de la montagne, de cette vie naturelle qu’ils aiment tant et que pour rien au monde ils n’échangeraient. Chaque gaucho a son caractère : Alejandro est sauvage et timide, mais d’une galanterie exemplaire, Sergio est curieux et enjoué, Eladio est un petit homme toujours souriant et aux yeux d’un bleu turquoise, et Lorenzo est le plus curieux et le plus cultivé d’entre eux. Ils sont d’une propreté exemplaire que l’on n’imaginerait impossible au milieu de la cordillère. La moustache de Lorenzo est taillée au millimètre près, leurs vêtements sont immaculés, et ils s’essuient les lèvres chaque fois qu’ils font passer le verre de vin. En nous regardant avec Caroline, nous avons presque honte d’être aussi sales et malodorants. Malgré tout, nous profitons de cette expérience unique de partager un excellent repas avec des gauchos en pleine cordillère. La viande est excellente et le vin nous libère de notre timidité. Nous quitterons nos nouveaux amis repus, et encore une fois des souvenirs plein la tête.











La dernière montée jusqu’au col est un peu plus dure que le reste. La pente est plus forte et la route est construite à flanc de montagne. Les paysages sont impressionnants et sauvages. Plus nous nous élevons, plus notre environnement est minéral. De moins en moins de végétation couvrent les versants des montagnes. Enfin, après plusieurs heures de lutte au fond d’une profonde vallée encaissée, nous débouchons sur une immense vallée ouverte, perchée à 2500 mètres d’altitude, marquant la proximité du sommet. En arrière plan, l’immense montagne du volcan Peteroa couvert de glaciers semble bloquer le paysage par sa masse imposante. Il se fait tard et nous campons dans ce paysage idyllique.






Le lendemain matin, nous nous élançons pour les 20 derniers kilomètres de l’ascension. Rapidement, nous nous rendons compte que ce ne sera pas facile du tout. La route redevient impraticable à cause du sable, mais également à cause des ruisseaux qui traversent la route et qui déposent des quantités impressionnantes de graviers, galets et autres cailloux sur la route. Le vent de face achève de nous compliquer la tâche. Nous n’arrivons pas à contrôler notre guidon et tombons à de nombreuses reprises. Cette fois-ci, la fatigue aidant, je n’arrive pas à garder mon sang-froid et m’énerve après mon vélo, les cailloux, et tout ce qui m’entoure. Je hurle à chacune de mes chutes et balancent des pierres dans le paysage. Vain effort … Ma voix emportée par le vent se perd dans l’immensité du lieu. Je commence à perdre le contrôle, jusqu’au moment où je chute lourdement sur mon cadre en voulant traverser un ruisseau bien plus profond que les autres. Terrassé par la douleur de la chute, je m’arrête de nombreuses minutes pour reprendre mon souffle et mes sens, et je repars un peu plus calme.



Enfin, vers 18h30, alors que le soleil est déjà bas sur l’horizon, nous atteignons enfin le sommet. Il nous a fallu 4 jours d’efforts pour parvenir au col. La descente sur le Chili est impressionnante, et nous sommes cramponnés aux freins en permanence tant la pente est forte. Nous arriverons à la tombée de la nuit au fond de la vallée, exténués mais soulagés de sortir enfin de la cordillère.