mardi 5 mai 2009

La traversée du désert et les Sierras Pampeanas

C’est sur les rotules que nous quittons San Juan, après 3 jours de travail intensif à rencontrer tous les acteurs intervenants en cas de séisme majeur. Nous partons plein est à travers le désert torride du nord-ouest argentin. Les paysages sont désolés et désolants, des centaines de kilomètres de semi-pampa colonisée par des arbustes poussiéreux et couverts d’épines acérés comme des aiguilles à coudre et fatales pour nos pneux. Nous roulons la tête basse, tant la chaleur nous pèse et les paysages nous plombent. La température durant la journée avoisine les 35-40 degrés, et nous cuisons sous le soleil de plomb. Le soir, nous avons beau espérer un peu de fraicheur, rien ne change. De plus, d’autres éléments perturbateurs décident de nous mener la vie dure : les moustiques. Dès la tombée de la nuit, les moustiques sortent et nous attaquent en escadrons innombrables, ci-bien que nous courrons nous réfugier à l’intérieur de la tente. Car en outre le fait que les moustiques représentent un gêne évidente, les moustiques sont également synonymes de de réel danger. En effet, une épidémie de dengue sévit dans le nord-ouest argentin, et cette maladie est véhiculée par les moustiques. Il nous faut donc impérativement nous protéger de ces maudits insectes piqueurs. Ainsi réfugiés à trois dans la tente, Karen, Caroline et moi-même nous sentons comme dans un sauna tant la chaleur extérieure combinée à notre chaleur humaine est insupportable. Nous transiprons littéralement par tous nos pores. Nous sommes tellement léthargiques que nous en sommes ridicules, et nous tombons dans un fou rire incrontrôlable en nous regardant dans cette situation plutôt inconfortable.




Heureusement, cette forte chaleur ne dure que quelques jours, et nous retombons dans des températures plus clémentes alors que nous remontons vers le nord. Les nuits sont fraîches et nous pouvons désormais goûter un repos nocturne bien mérité. Après trois jours de route intensive, nous arrivons à San Augustin del Valle fertil, où Karen doit déjà nous quitter. Le bus qui la mènera à La Rioja, puis à Salta quitte Valle fertil à 3h du matin. Nous allons l’accompagner encore tout ensommeillé, avant d’aller nous recoucher. Le lendemain, nous nous retrouvons de nouveau à deux sur les routes du monde, et nous poursuivons notre route vers le nord. La route paraît plane, mais la difficulté que nous éprouvons à pédaler montre clairement que la route monte légèrement, mais tout le temps. En 2 ou 3 jours, nous grimpons de plus de 1000 mètres de dénivelé sans même nous en rendre compte car nous semblons rester en fond de vallée.




Une chose nous intrigue néanmoins : les plaines sont séparées par des chaines de montagnes, ou Sierras, orientées nord/sud. Certaines peuvent d’ailleurs atteindre des altitudes très élevées, comme le Cerro general Belgrano qui dépasse 6000 mètres. Ces sierras semblent « pousser » au milieu de la pampa, c’est pourquoi elles sont connues sous le nom de Sierras Pampeanas. Malgré leur altitude, les Sierras Pampeanas de font pas parti des Andes à proprement parler. Quelle est donc leur origine ?

C’est en traversant la Sierra de la Famatina, à l’ouest de Chilecito et au nord du parc national de Talampaya, que nous trouvons la réponse. Nous sommes dans la province de la Rioja et venons du sud-ouest. Au pied de la sierra, nous traversons une série de cañons creusés dans des roches rouges, des grès d’âge triasique. Les grès sont des roches sédimentaires déposées à la surface de la Terre. Ces magnifiques cañons sont colonisés par de gigantesques cactus poussant exclusivement dans le nord-ouest argentin. En remontant dans la sierra, nous notons un changement majeur du paysage : alors que le pied de la sierra est constitué de roches stratifiées rouges, son sommet est constitué de roches blanches non stratifiées. En s’avançant plus en avant, nous nous rendons compte que ces roches blanches sont des granites à gros cristaux, c’est-à-dire des roches formées à grande profondeur (plus de 15 kilomètres). Le contact entre les deux unités est franc et se suit parfaitement dans la paysage. Ainsi, nous trouvons des roches d’origine profonde au-dessus de roches d’origine superficielle, violant le principe de superposition, un des trois principes fondamentaux en géologie. Le contact entre les sédiments et les granites sus-jacents est donc « anormal ». Quelle est donc la nature de ce contact ?







Nous trouvons la réponse lorsque la route recoupe le contact. En remontant, nous trouvons dans l’ordre : (1) des sédiments bien stratifiés, (2) des sédiments broyés, ou bréchifiés, (3) puis le granite. Le contact semble donc correspondre à une zone où les roches ont été déformées : c’est une faille majeure. Cette faille est tellement importante qu’elle ne correspond pas à un plan de fracture unique, mais à une zone de roches broyées dans laquelle il est impossible de « lire » quelconque information géologique utile. C’est pourquoi, sur la photo, la zone de faille n’est pas spectaculaire, et il nous est difficile d’imager correctement la nature et la géométrie de cette faille. En revanche, nous avons trouvé dans les sédiments des petites failles juste en-dessous du contact majeur : toutes ces petites failles sont des failles inverses, associées à une compression tectonique. Ainsi, nous en déduisons que cette grande faille est une faille inverse. Le déplacement le long de cette faille est tellement important (amener en surface des roches profondes) que l'on parle de « chevauchement », c’est à dire que les roches profondes sont charriées en surface et viennent chevaucher les roches superficielles.





Ainsi s’explique l’origine des Sierras Pampeanas : au pied de chaque sierra se trouve un chevauchement soulevant des roches profondes. C’est d’ailleurs le long de ce type de faille que se produisent tous les séismes de la région de San Juan.