vendredi 26 décembre 2008

La mine de charbon de Río Turbio – 08/12/2008

Puerto Natales, Chili, portes du parc Torres del Paine.
La météo s’annonce radieuse pour les trois prochains jours, et nous ne pouvons pas nous rendre au parc. En effet, un site géologique nous attend de l’autre côté de la frontière, à un saut de puce de 30 kilomètres : la mine de charbon de Río Turbio. Grace à l’aide d’Hector, nous avons pu prendre contact avec le personnel de la mine, qui nous attend. Nous gravissons le col de la Dorothea a 600 m d’altitude et nous fondons sur la petite ville minière de Río Turbio. A 200 m après le poste frontière, nous rencontrons une procession religieuse, et nous apprenons que ce lundi est le jour de la vierge, ce qui veut signifie jour férié. Nous ne visiterons donc les bureaux de Yacimientos Carboniferos Río Turbio (YCRT) que demain. Nous apprenons également que nous avons raté de 4 jours les célébrations de la Sainte Barbe, patronne des mineurs, géologues et pompiers, ô combien importante dans ce pays très croyant.
Le lendemain, nous nous rendons aux bureaux de YCRT, où nous sommes reçus courtoisement par Pedro Campos. Le résultat de la discussion est pour le moins stérile : il n’y a pas de géologue sur place (curieux pour une mine ...) et nous ne pouvons pas accéder aux galeries. Notre visite se contentera du musée-école, comme un touriste ordinaire. Passablement énervés, nous sortons des bureaux et commençons à nous diriger vers la mine, le long de la vallée du Río Turbio. Le paysage est vallonné, et les montagnes sont pelées. Néanmoins, de nombreuses souches et troncs morts témoignent d’une forête jadis recouvrant le flanc des montagnes. Au loin, nous devinons l’usine de purification du charbon ainsi que la butte de déchets miniers, équivalente à nos terrils du Nord.
La lecture du paysage nous apporte beaucoup d’informations sur la nature et l’origine du charbon. De grandes strates (couches) de roches zèbrent la montagne. Ces strates, toutes parallèles entre elles, sont des roches sédimentaires comme on en trouve dans le Jura, les Alpes et la Normandie, entre autres. Uné analyse plus détaillée montrent que ces sédiments se sont déposés sur un continent et non en mer ou au fond des océans. Dans le paysage nous pouvons observer plusieurs puits de mine, tous alignés le long d’une strate : le charbon correspond donc à un niveau sédimentaire particulier.


Imaginez une grande dépression, comme le lac Léman. Des rivières transportent des sédiments qui se déposent au fond du lac (du sable ou des galets). A un moment précis, une grande quantité de végétaux se dépose avec les sédiments. Ces végétaux peuvent provenir soit d’arbres arrachés par un orage violent et qui s’accummulent dans le lac, soit d’une période où le lac se transforme en tourbière. Ensuite, d’autres sables et galets viennent recouvrir les végétaux. Au fur et à mesure que des sédiments s’accummulent au dessus du niveau organique, sa pression et sa température augmentent. La matière organique se transforme lentement et se purifie en carbone par libération de l’hydrogène et de l’oxygène. Dans un premier temps, la matière organique devient lignite, puis charbon plus concentré en carbone. Il faut avoir à l’esprit que cette réaction se produit en plusieurs millions d’années ! Ce scénario explique ainsi pourquoi le charbon se retrouve sous la forme de strates, appelées veines.
Javier est notre guide pendant notre visite du musées. Ancien mineur de fond, il nous décrit l’historique de la mine et les conditions de travail. Le gisement a été découvert en 1942 et l’exploitation a débuté artisanalement en 1943. La première galerie se situe là où nous avions recontré la procession la veille. Pendant près de 40 ans, le travail était artisanal, dangereux, et les techniques d’extraction rudimentaires. Il faut s’imaginer qu’au fond de la mine, une fois que le niveau de charbon est extrait, la veine se referme toute seule sous l’effet du poids de la montagne au-dessus. Les risques associés sont énormes. Jadis, les mineurs disposaient de simples poutres en bois et d’arceaux métalliques pour soutenir les galeries. Mais à partir des années 70, les techniques modernes développées en Europe font leur apparition, augmentant la production et surtout réduisant presque à néant les accidents. Le travail de taille au fond de la galerie est automatisé avec une machine rotative et un système complexe de verins hydrauliques maintient le plafond.











Javier nous explique ensuite comment percer les galeries pour accéder à la veine de charbon. Au front de taille, les mineurs creusent 53 trous, perforés à l’aide d’un marteau-piqueur à air comprimé. Javier nous en fait une démonstration et nous sursautons à l’énorme vacarme. C’est le travail le plus pénible pour les mineurs. Chaque perforation est ensuite remplie de dynamite et le front de taille est pulvérisé. A cette cadence, le front de taille avance de deux mètres par jour seulement.
La mine de Río Turbio est la seule mine de charbon encore en activité en Argentine et son avenir est radieux. Pour l’instant, une partie seulement de la veine de 7 km de long de 50cm à 3 m d’épaisseur a été exploitée, et les études géologiques ont montré qu’il y avait 4 autres veines de même taille en profondeur, pour l’instant encore inaccessibles. La production annuelle est de 1.7 million de tonnes de charbon. Le charbon est purifié à l’usine, c’est à dire séparé de ses impuretés minérales, puis acheminé par train sur la côte atlantique. Embarqué dans des cargos, le charbon est ensuite acheminé vers la province de Buenos Aires et brûlé dans des centrales thermiques pour produire de l’électricité.





Afin de réduite le coût du transport, YCRT a pour projet de construire une centrale thermique dans la vallée à proximité du site de production. La pose de la première pierre inaugurale est d’ailleurs prévue quelques jours après notre passage en présence de la présidente argentine.A notre arrivée à Río Turbio, nous avions été surpris par le paysage encore préservé de la vallée. « Beaucoup défforts », ajoute Javier, « sont fait pour la protection de l’environnement ». Ces efforts semblent payer car la mine et l’usine ne semblent pas perturber la dizaine de couples de condors qui nichent dans les falaises surplombant l’usine. Cependant, qu’en sera-t-il de cet équilibre après l’ouverture du projet de la centrale électrique ? Nous esperons croire qu’il sera préservé, à moins que la folie productiviste financière en décide autrement.