vendredi 5 décembre 2008

Ushuaia - Rio Cullen (23-28 novembre 2008)

Le ciel est menacant au loin sur les montagnes que nous allons traverser. Pares pour la pluie, nous commencons notre progression entre les montagnes recouvertes de forets verdoyantes a leur base et enneigees a leur sommet. A leur pied s'etalent des marais rougeoyants d'ou s'elancent quelques arbres morts. Les premiers essais photographiques sont decevants. La lumiere est tres forte, le ciel gris et bien sur nous sommes en contre-jour. Nous longeons une superbe vallee probablement formee par une faille decrochante bien visible et rectilignes sur les cartes. De l'autre cote de la riviere, des sommets aceres s'intercalent avec de superbes vallees glaciaires en forme de U. Cependant, les glaciers sont rares et semblent agonisants sur les sommets. C'est au debut du col que nous prenons la pluie qui se transforme bientot en flocons de neige. Le soleil se cache derriere les nuages mais laisse apparaitre la danse des flocons dans une atmosphere mysterieuse. Nous traversons pour la premiere fois la Cordillere des Andes par le "Paso Garibaldi" et redescendons rapidement vers la Defensa Civil, que nous a indique Sandra, sur les rives du Lago Escondido. C'est ici que nous passerons la nuit avec l'accord de Pablo. Au petit matin je partage un mate (boisson locale a base d'herbes) avec lui en papotant avec un langage plus que basique.Pablo est bavard est curieux et c'est pour moi le meilleur cours d'espagnol qui soit ! J'apprends que la Defensa Civil est un peu l'equivalent des pompiers et ambulance : ils fournissent les premiers secours et s'occupent de la circulation. Nous partirons encore une fois bien tard, mais toujours aussi heureux de nos rencontres. Pablo nous indique une bonne panaderia (boulangerie) a Tolhuin, le prochain village, et c'est sous le soleil que nous longeons le Lago Fagnano au rythme des klaxons d'encouragement. Deux velos apparaissent au loin : super des copains ! C'est un couple d'espagnols qui se rendent a Ushuaia. Nous echangeons les bons tuyaux et repartons tout guillerets.






A Tolhuin, on nous indique la panaderia situee a l'ecart de la route numero 3 en plein centre d'un village bien vivant. Les patisseries allechantes s'etalent devant nos yeux gourmands dans un decor un peu kitch. C'est ici que nous discutons avec Mariano et Pablo, deux jeunes cyclistes argentins qui ont suivi la route 3 depuis Mar del Plata. Ils nous apprennent que le proprietaire de la panaderia accueille les cyclistes a l'oeil dans une petite maison. Ce n'etait pas prevu au programme, mais sur la proposition d'un employe, c'est au chaud et dans un lit que nous dormirons ce soir.C'est la fete et nous invitons nos nouveaux copains pour un asado (barbecue local). Apres le vol de notre saucisson ce matin, les chien errants nous jouent de nouveau un mauvais tour en nous chipant nos derniers morceaux de viande au-dessus de la braise... Heureusement, nous etions deja bien repus.
Notre histoire a Tolhuin n'est pas finie. Ce village nous suscite quelques questionnements. Le buste d'un homme, dont nous retrouvons le visage sur les sacs plastiques de la panaderia, s'eleve sur la place comme s'il s'agissait d'un personnage celebre du village. Cet homme est le professeur Favaloro, cardiologue et inventeur du Pacemaker comme nous l'explique Francisco, qe nous avons rencontre en cherchant un cyber cafe. Favarolo n'est pas du village, mais comme Tolhuin signifie "coeur" en langage des premiers autochtones, la commune a decide de rendre hommage a ce personnage argentin pour le remercier pour ses bienfaits pour la societe. Francisco, dit "Pancho", tient une petite echope avec un ordinateur dont la connexion internet ne fonctionne pas aujourd'hui. Il a fait des etudes de lettres et s'enflamme en nous parlant de Victor Hugo, Balzac, Edith Piaf, ou encore Truffaut. Nous nous faisons tout petit devant tant de connaissances mais nous partageons son enthousiasme. Pancho jongle entre espagnol et anglais et nous raconte le periple du "Che" (Che Guevara) en Amerique du Sud a la decouverte des peuples et son engagement pour ameliorer la vie des gens. Les grands personnges argentins sont surprenants : que ce soient le Che, Eva Peron, Favarolo, ou Francisco Moreno, il nous semble que leur point commun soit la generosite envers leur peuple. Nous comprenons ainsi un peu mieux la philosophie argentine envers les voyageurs. C'est une nouvelle fois le coeur serre que nous saluons Pancho sur le seuil de son echope. Nous serions bien restes toute la journee mis la route nous attend, d'autant plus que le vent s'est leve.






C'est une journee difficile : comme chaque jour, mon mollet gauche me fait mal et apres la premier cote, nous nous arretons pour etirements et seance photo. Tout comme Tolhuin, la paysage est etrange et me rappelle le film Big Fish. Les forets sont comme envahies par du lichen blanchatre que s'enchevetre autour des arbres morts. Plus tard, de vastes plaines s'ouvrent devant nos yeux, laissant champ libre au vent infernal. Nous sommes observes par des chevaux a l'allure fiere et a la criniere sauvage. Un cri etrange nous fait decouvrir notre premier guanaco. Nous rencontrons une nouvelle fois des cyclistes : Heidi et Markus, Autrichiens qui viennent d'Alaska, accompagnes de Jeff, un canadien errant sur les routes du monde depuis plus deux ans . Nouvel echange de tuyaux, petite photo souvenir et echange d'adresses de blog, et c'est reparti. Apres plus de 70 kilometres, nous demandons a planter la tente a l'Estancia Viamonte, face a l'ocean Atlantique. J'ai l'impression que mes jambes sont en bois et je n'ai pas depase les 6 kilometre/heure les derniers kilometres. Je crains le pire pour demain, me rappelant une situation similaire au Grand Paradis... Etirements douloureux et litres d'eau viendrons a bout des douleurs generees par le froid et la crispation des muscles.





A notre grande suprise, on nous offre un excellent repas : soupe au mouton (cordero patagonico) et mouton-pates prepares par Renato, le cuisinier de l'estancia. Il nous propose egalement un toit dans une masure utilisee autrefois par le personnel. L'estancia est immense et 70 000 moutons se baladent sur plusieurs dizaines de milliers d'hectares ! Douze hommes travaillent ici, et cette semaine 6 tondeurs de moutons (esquileros) sont aussi presents. Nous assistons a la tonte le lendemain matin. La cloche sonne, les machines rugissent, les moutons sont liberes de leur laine en quelques minutes et sortent hagards par une trappe situee a l'arriere du tondeur. Au rythme de 25 betes par heure, une semaine suffit pour tondre tout le troupeau. Olivier joue une nouvelle fois au Petit Poucet en laissant son couteau suisse sur la rembarde de la maison. Enfin, supposons-nous, car il nous faudra plusieurs jours pour nous en apercevoir.





Le vent est de face et nous nous fixons Rio Grande comme objectif. Contre toute attente, nous finissons le soir a l'hotel Argentino. Olivier avait pourtant mis beaucoup d'energie a trouver un logement chez les pompiers et la police qui ont toujours un coin de libre pour les voygeurs. Finalement, nous sommes heureux d'etre ici. La tente est plantee a cote d'une petite maison bleue, qui me rappelle celle de Maxime Le Forestier par la philosophie qui regne dans cet endroit. Nous nous sentons comme dans une famille, avec Graciela aux yeux grands ouverts sur le monde et les gens, Manuela une jeune fille de 11 ans pleine d'energie, Lorena sa maman, et Ati qui est la en journee. La cuisine est le coeur de l'hotel Argentino, c'est la que tout se passe, c'est la que tous se rencontrent. Nous y passerons tout notre temps, du diner au petit dejeuner en compagnie de nos hotes. Nous nous sentons tellement bien ici que nous trainons longuement pour partir. C'est avec tristesse que nous apprenons la fermeture de l'hotel a la fin novembre, mais Graciela, pleine de ressources, prepare un projet de tipi un peu en dehors de Rio Grande pour accueillir les voyageurs avides de moments agreables autour de tapas. Bref un lieu convivial dont nous aurons a coeur de faire la publicite.



Petit arret a la gomeria "El ciclon" pour regonflage avant de reprendre la route vers le nord. Les kilometres defilent, l'ocean a notre droite et les grandes plaines a notre gauche. Nous apercevons les premiers derricks qui pompent inlassablement l'or noir du sous-sol. Nous passerons la nuit dans une estancia, a l'abri d'une palissade. Nous avons encore un fois une bonne excuse pour partir tard le lendemain matin, puisque la pluie ne cesse que vers 10 heures, et le vent est une nouvelle fois de la partie et de cote. Le velo derape, se cabre, et teste notre equilibre. C'est une bonne lecon de pilotage avant d'entamer les pistes en terre. Olivier me fait remarques un velo au loin. Effectivement, il s'agit d'un cycliste hollandais un peu sauvage, Pete. Il a commence son periple en Afrique a pied, puis a achete un velo au Canada pour descendre les Ameriques. Peu apres, nous arrivons a San Sebastian, ou nous cherchons desesperement du pain, et mise a part la douane et quelques baraques, San Sebastian n'a de village que le nom. C'est ici que nous faisons un detour pour aller visiter notre premier site geologique : l'usine petrochimique de Total Austral a Rio Cullen. Soixantes kilometres de piste nous attendent, avec toujours ce maudit vent de cote. Les rafales nous limitent autour de 9 km/heure, puis au bout de la longue courbe, elles nous deviennent favorables et se plaquent dans notre dos, telle une bonne tape, nous permetant d'atteindre 27 km/h sans pedaler (et sur piste !). Notre concentration est au maximum. Il s'agit de choisir le bon endroit de la piste avec le moins de gravier ou de nid de poule et maitriser notre engin lors de derapages. Au passage des camions et 4x4, une volee de graviers et poussiere nous atteint. Le paysage le long de la baie San Sebastian est marecageux et fai le bonheur des guanacos qui galopent comme des gazelles a notre vue. Renards gris, bandeirras et caiquenes (oies sauvages) ont leur place dans ces marais a proximite de derricks que nous voyons au bout de lignes droites interminables et dont le ronronnement des moteurs parvient a nos oreilles. Apres 75 km, nous apercevons l'usine de Total en ligne de mire.