vendredi 9 janvier 2009

Le parc national de Torres del Paine (11/12 - 18/12)

De retour de Rio Turbio, nous voila de nouveau à Puerto Natales, au Chili, où nous nous préparons à nous rendre au parc national de Torres del Paine. Le programme est alléchant : un paysage superbe, protégé et classé par l’UNESCO, agrémenté d’une géologie exceptionelle. Puerto Natales est à 120 kilomètres du Parc et nous voulons nous y rendre en vélo pour ensuite partir cinq jours en trekking explorer le massif. Nous pensons ensuite quitter directement le Chili sans repasser par Puerto Natales.
La première mission est de trouver à louer des sacs à dos. La difficulté est de taille car en expliquant que nous ne pensions pas repasser par Puerto Natales, nous essuyons refus sur refus. Désabusés et à la limite de renoncer, nous rencontrons vers 20h30 Lydia, une femme avec qui nous avions discuté la veille et à qui nous avions expliqué notre projet scientifique. En lui expliquant notre problème, elle s’exclame : “Mais ce n’est pas un problème !”. Il s’avère qu’elle est gérante d’une agence de tourisme et qu’elle loue des sacs à dos. Lui demandant si ça ne lui posait pas de problème que nous ne repassions pas par Puerto Natales, elle nous répond : “Il y a touristes et touristes. Vous n’aurez qu’à déposer les sacs à un chauffeur de bus qui effectue quotidiennement la navette entre le parc et la ville, et il se chargera de nous ramener les sacs”. Le problème des sacs à dos était donc résolu.
Le lendemain, nous pédalons guillerets en direction du parc. Nous cheminons sur une route en terre le long d’une belle vallée relativement protégée du vent. Le soir, nous bivouaquons le long d’une petite rivière, avant de repartir le lendemain matin. Au loin vers le nord, nous devinons le massif du Paine. Nous ne perdrons plus notre objectif de vue jusqu’à destination. La route serpente entre collines et lacs aux couleurs exceptionnelles. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons du notre objectif, les sommets du Paine semblent s’élever dans le ciel, et de plus en plus de détails sont visibles. En fin de journée, nous arrivons enfin au pied de ces montagnes mythiques : d’immenses tours verticales de 1500 à 2000 mètres de hauteur se découpent dans le ciel.
Les couleurs de ce massif sont le plus fascinant. Essentiellement constitué d’une roche noire très sombre, le massif est parcouru par une immense bande horizontale de roches blanches qui zèbre toute la montagne, dessinant une immense lentille. Nous sommes vraiment intrigués par cette géométrie si particulière, et nous nous rendons à l’administration du parc pour aller à la pêche aux informations. Nous y rencontrons un gardien du parc, Gonzalo Cisternas, passionné de géologie. Il nous accorde une interview passionnante et très pédagogique, au cours de laquelle il nous explique l’origine du massif. “Les roches noires”, nous explique-t-il, “sont des roches sédimentaires qui se sont déposées au fond d’un ancien océan il y a très longtemps. Il y a environ 15 millions d’années, du magma, c’est à dire des roches en fusion, est remonté des profondeurs de la terre comme sous un volcan. Ainsi, le magma s’est trouvé piégé dans les sédiments et s’est accumulé en formant une grosse lentille presque horizontale. En se refroidissant, le magma s’est solidifié pour donner du granite de couleur blanche.” Puis il rajoute qu’au cours des derniers millions d’années, des glaciers ont recouvert toute la région et ont érodé le granite en profondes vallées. En fondant, les glaciers ont ensuite laissés apparaître le paysage fabuleux actuel.
Après ces explications passionnantes, nous sommes impatients de partir explorer ces montagnes si prométeuses. Après avoir chargé nos sacs à dos, nous nous élançons en fin de journée à l’assaut du trekk de cinq jours. Le soleil couchant perçe à travers les nuages sombres. Au loin, nous apercevons la calotte glaciaire patagonienne, la troisième calotte glaciaire au monde après celle de l’Antarctique et du Groënland. Les tours du Paine nous toisent tout au loin du chemin.




Gonzalo nous confie qu’aujourd´hui, le parc national attire plus de 120 000 touristes par an, et fait donc vivre l’économie de toute la région de Puerto Natales. Sans ce parc, il n’y aurait rien d’autre que des montagnes vierges de toute activité humaine.




Le lendemain, nous débutons réellement la randonnée sur l’itinéraire tracé sur toutes les cartes, et c’est une grande désillusion qui nous claque au visage. Des hordes de touristes, fraichement débarqués du catamaran, envahissent le seul sentier disponible. Des tour-operateurs ont embauché des jeunes chiliens pour porter les sacs à dos pleins à craquer de riches touristes. Des grandes tentes permanentes tout confort accueillent des groupes agités et bruillants de marcheurs grisés par le champagne ouvert au sommet du trekk. Alors que d’innombrables oiseaux chantent dans cette nature sauvage, beaucoup de marcheurs arborent fièrement les écouteurs de leur Ipod. Un seul sentiment nous vient à l’esprit : nous sommes arrivés à Disney Land Torres del Paine. Le charme de la veille est définitivement rompu. Alors que nous nous attendions à vivre une expérience hors du commun, nous nous retrouvons au coeur d’une usine touristique. Nous conserverons ce sentiment tout au long du trekk. En discutant avec d’autres voyageurs venus faire le trekk également, nous nous rendons compte que nous partageons tous le même sentiment de déception.


Après deux semaines de reflexion, nous nous demandons encore si ce sentiment ne relève pas de l’égoïsme ou de l’arrogance des voyageurs vis à vis des touristes. Nous avouons ne pas avoir la réponse. La seule vérité est que ce tourisme de masse alimente l’économie de toute une région. En outre, ce site remarquable attire tellement que tout le reste de la région est exempte des programmes des tour-operateurs, donc préservé. Mais tout de même, en vendant une nature sauvage à un tourisme de masse, n’est-ce pas se tirer une balle dans le pied ? Avec une croissance de 30% du nombre de visiteurs attendue dans les prochaines années, l’avenir nous le dira.