jeudi 12 février 2009

Les lacs d'hier et d'aujourd'hui (15-17/01/09)

Rives du Lago General Carrera, région de Aysen. Nous avons quitté les gorges du Rio Baker et dépassé le petit port tranquille de Puerto Bertrand, et nous roulons le long des eaux bleues du Lago General Carrera. Le lac est immense : c’est le deuxième lac d’Amérique Latine, après le lac Titicaca. Il est confiné au coeur d’une vallée entourée de hautes montagnes dont certaines exhibent fièrement leures couverture glaciaire. Les eaux du lac semblent paisibles et imperturbables, tout justes animées par quelques vagues et des truites qui sautent. Les eaux du lac se déversent à l’ouest dans le Rio Baker qui se jette dans l’océan Pacifique à Tortel.


Ce jour-là, nous avons la chance de profiter du beau temps. En effet, deux jours auparavant, des trombes d’eau se sont abattues sur la région, rendant notre progression plutôt inconfortable et mouillant une bonne partie de nos affaires. Mais aujourd’hui, le soleil joue avec les nuages et éclaire partiellement la surface étincelante des eaux. Aux alentours, les montagnes plongent directement dans le lac du haut de falaises vertigineuses.

Tout en pédalant, Caroline me fait remarquer de l’autre côté du lac une zone horizontale dont le relief contraste avec les montagnes. Intrigués, nous poursuivons notre route à la recherche d’autres zones similaires. Quelques kilomètres plus loin, nous retrouvons ces zones de notre côté du lac, tout proche de la route. Il s’agit de plateaux bordés par des pentes escarpées. En nous approchant de ces plateaux, nous nous rendons compte qu’ils sont constitués de sédiments, alors que toutes les montagnes environnantes sont constituées de roches métamorphiques. De plus, nous remarquons que tous ces plateaux présentent des altitudes très comparables.



Le long de la route, il est possible d’observer les sédiments. Il s’agit de sédiments assez sableux, de couleur claire. Localement, nous observons même la base des sédiments : les formations basales se sont déposées directement en contact sur les métamorphiques déjà transformées et déformées. La structure presque horizontale des sédiments contraste avec la structure parfois complexe des roches métamorphiques, et il est impossible de tracer une continuité entre les deux. C’est pourquoi ce type de relation s’appelle une discordance. Le fait que les sédiments soient en discordance sur les roches métamorphiques indique qu’il s’est écoulé une longue période entre la formation des roches métamorphiques et le dépôt des sédiments. La discordance indique également que les sédiments sont beaucoup plus récents. En revanche, cette observation ne nous apporte aucune information sur l’origine des sédiments.



La réponse nous sera donnée par un autre lac, dans lequel se jète une rivière : le Lago verde à proximité de Villa Cerro Castillo. En se jetant dans le lac, la rivière a déposé des sédiments qui ont formé un delta, dont la surface est quasiment horizontale et au même niveau que le lac. Par analogie, nous en déduisons que les plateaux qui bordent le Lago General Carrera sont des anciens deltas de rivières déposés dans le lac. En revanche, étant donnés que les plateaux sont 100 à 200 mètres plus haut que le niveau actuel du lac, nous en déduisons que le niveau du lac à l’époque du dépôt des deltas était plus qu’actuellement. Par conséquent, une grande partie de la région était recouverte par les eaux. Mais à quoi est due cette variation de niveau du lac ?


C’est à Coyhaique, au Centro de Investigacion en los Ecosystemas de la Patagonia (CIEP), que nous trouverons une explication. Nous y rencontrons Fabien Bourlon, géologue au CIEP, qui a travaillé en collaboration avec les glaciologues de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Les chercheurs de l’IRD ont montré que les campos de hielo Norte et Sur étaient connectés en une immense masse de glace unique au cours de la dernière période glaciaire. Cela signifie que la région où s’écoule le Rio baker était recouverte de glace, c’est à dire que les eaux du Lago General Carrera étaient bloquées par la glace qui faisait office de barrage naturel. Les eaux du lac étaient ainsi retenues et le niveau du lac était plus haut que le niveau actuel. Lorsque les glaces ont fondu, les eaux du lac ont pu s’écouler librement vers l’Océan Pacifique, et le niveau du lac s’est abaissé jusqu’au niveau actuel.