jeudi 12 février 2009

L’entrée dans l’arc volcanique (19/01/09)

Depuis notre départ de Villa O’Higgins, nous parcourons un environnement géologique relativement homogène : un domaine métamorphique où les roches ont été très déformées et transformées et où la lecture du paysage est difficile. La géologie métamorphique n’est pas notre spécialité et nous avons du mal à tirer des informations intéressantes à partir des affleurements que nous rencontrons, et nous nous concentrons plus sur la route infernale que sur les roches.
Ce jour là, nous devons escalader le portezuelo Rio Cañon qui sépare la région du Lago General carrera de la région de Cerro Castillo. L’ascension s’effectue sans grande difficulté et nous commençons la descente sur une route confortable. Soudain, au détour d’un virage, je bondis sur mes freins et m’arrête net devant un affleurement qui m’a sauté aux yeux. Contrairement à toutes les roches que nous avons vues jusqu’à maintenant, les roches se présentent sous la forme de colonnes hexagonales, typiques des orgues volcaniques. Il s’agit d’une coulée volcanique, probablement de nature andésitique. Après une courte pause, nous repartons dans la descente.

Une demi-heure plus tard, c’est la pause déjeuner en bord de route, et nous sortons notre traditionnel pain-thon-dulce de leche-café. Mais en tournant la tête pour attraper la bouteille thermos, je pose la main sur quelques graviers dont la texture me fait prendre conscience de leur nature. “Tu as vu ces graviers?”, demandais-je à Caroline, “Ce sont des pierres ponces!”. Les pierres ponces sont des roches volcaniques très poreuses, expulsées lors de violentes explosions volcaniques. En regardant autour de nous, nous nous rendons alors compte que le sol de la forêt et le bord de la route sont recouverts d’une couche de ponces. Même certaines souches d’arbres sont coiffées d’une couche de 20 centimètre de ponces. Et tout autour de nous c’est la même chose : la région en est entièrement recouverte ! D’où viennent ces ponces et que font-elles ici ?





Après le déjeuner, nous poursuivons notre descente et tombons sur un affleurement extrêmement intéressant : nous pouvons distinguer plusieurs couches de pierres ponces, en blanc sur la photo, intercallées entre des niveaux plus noirs. En regardant le niveaux noirs, nous pouvons distinguer des trous très noirs, probablement la trace d’anciennes racines : ces niveaux noirs sont d’anciens sols, dits paléosols. Chaque niveau de pierres ponces correspond à une éruption volcanique. La présence de paléosols entre chaque niveau de ponces montre que la végétation a eu le temps de se développer entre chaque éruption, c’est à dire qu’il y a eu un laps de temps important entre chaque éruption.



La présence des traces de végétaux est important pour dater les éruptions. En effet, il est possible d’échantillonner ces anciennes racines qui ont poussé à l’intérieur d’un niveau de ponces et de les dater en utilisant la méthode du carbone 14. L’âge ainsi obtenu donnera un âge minimum de l’éruption volcanique correspondante au niveau de ponces. Cependant, le niveau de ponces le plus superficiel ne présente aucune trace de colonisation végétale : la dernière éruption est donc toute récente !


Quinze kilomètres plus loin, nous suivons la vallée du Rio Ibañez et nous tombons sur une forêt d’arbres morts. Toute la forêt est morte, et l’ambiance est lugubre. Les nuages noirs sont pesants et contribuent à cette atmosphère si particulière. Que s’est-il passé dans cette vallée ? Une plaque commémoratrice acrochée à un rocher nous donne enfin la réponse à toutes nos questions : en 1971 et 1991, le volcan Hudson, quelques dizaines de kilomètres à l’ouest, est entré par deux fois en éruption. Tout s’éclaire maintenant : les dépots volcaniques récents proviennent du volcan Hudson caché dans la couverture nuageuse. Alors que nous n’avions trouvé aucune trave de volcanisme jusqu’à maintenant, nous entrons de plein fouet dans l’arc volcanique andin actif.



En fin de journée, nous nous arrêtons dans un petit camping à la ferme tenu par Rosa, petite femme charmante qui nous propose des oeufs frais, du lait de ses vaches et d’autres produits maison. Nous entamons une discussion très amicale, jusqu’à ce que le sujet de conversation s’ouvre sur le volcan Hudson. Le visage de Rosa se ferme soudainement : “Nunca mas !”(Plus jamais ça). Puis elle nous décrit avec la peur dans les yeux les circonstances de l’eruption.


“A midi, le ciel s’est obscurcit et la nuit a tout envahi. Un bruit terrible s’est fait entendre, comme si toutes les montagnes alentour s’effondraient. Le sol tremblait en permanence. Plus de 30 centimètres de cendres et de pierres ponces sont tombés, tuant tous les animaux et brulant toutes les plantations. Nous avons tout perdu. Pendant 10 ans, rien n’a poussé sur le sol stérile. Depuis quelques années seulement, l’herbe a repoussé et il est de nouveau possible de cultiver un jardin”. Nous sommes à plus de 50 kilomètres du volcan …

Puis elle nous répète : “Je ne veux plus vivre quelque chose d’aussi effroyable de ma vie !”. Nous lui souhaitons que son voeu soit exaucé. Mais en notre for intérieur, notre point de vue de géologue nous fait craindre le pire pour Rosa et sa petite ferme. Nous savons que le volcan Hudson entrera de nouveau en éruption et qu’il détruira toute la région. Il est cependant impossible de savoir quand cela se produira, et nous espérons pour Rosa que ce sera le plus tard possible.