mardi 5 mai 2009

La Bodega Lurton (10/04/09)

Voilà plusieurs jours que nous avons passé le col Cristo Redentor et pénétré en Argentine. La route qui redescend de la Cordillère est interminable, ci-bien qu’il nous faut 4 jours pour atteindre le pied de la Cordillère, à quelques kilomètres au sud de la ville de Mendoza. Le contraste est saisissant : après plusieurs jours et 300 kilomètres passés dans les montagnes désertiques, la route nous amène dans une vaste plaine verdoyante qui s’étend à perte de vue. A la fin de la descente, nous rejoignons la fameuse route 40, que nous avons déjà emprunté plusieurs fois plus au sud. Mais au lieu de piquer au nord pour rejoindre la ville de Mendoza, nous avons prévu de faire un petit détour vers le sud pour visiter le vignoble des frères Jacques et François Lurton, professionnels du vin bordelais ayant investi dans plusieurs régions du monde.

La route qui nous mène à la bodega est magnifique. Elle traverse des kilomètres de vignes, mais également des vergers aux arbres chargés de fruits. L’air y est frais et agréable, et le vert des plantations nous repose après ces derniers jours passés dans le désert. La route déroule dans la plaine et longe la cordillère qui nous domine de presque 6000 mètres. Ses sommets enneigés étincellent dans le ciel bleu azur, et en particulier le cône majestueux couvert de glaciers du volcan Tupungato, à 6800 mètres d’altitude. Le contraste entre la chaîne et la plaine que nous traversons est remarquable et magnifique.



Enfin, après plusieurs dizaines de kilomètres agréables dans ce décor idylique, nous arrivons à la bodega (cave en espagnol), où l’entrée est gardée par une gardienne en uniforme. « Vous ne pouvez pas visiter la cave aujourd’hui, il y a un concert de musique classique donné pour Pâques dans le cadre de la route des vins. » C’est vrai, nous avons totalement oublié qu’aujourd’hui est la veille de Pâques, et que c’est un jour férié ! A tout hazard, nous forçons un peu notre passage : « D’accord, mais nous avons rendez-vous avec Sebastian San Martin », ne sachant même pas s’il est là ou pas. « Ah bon, alors c’est différent, vous le trouverez dans les bureaux en passant la grande porte d’entrée ». Sebastian est donc venu nous attendre alors que nous sommes un jour férié ! Nous nous sentons un peu ridicule d’avoir oublié ce détail important.


Et en effet, Sebastian nous accueille chaleureusement à l’intérieur du bâtiment, où il règne une fraîcheur reposante. Sebastian est un jeune homme grand et fin, d’une élégance remarquable, barbe courte parfaitement taillée, bien différente de la mienne ... Sebastian est agronome, et il sera notre guide dans ce site géologique atypique. Nous le remercions chaleureusement d’être venu de Mendoza, 100 kilomètres au nord, pour venir nous acueillir un jour férié. « Pour parler de vin, le temps ou les congés ne comptent pas », nous répond-il. « En revanche, je dois partir vers 14 heures, si ça ne vous dérange pas ». Sebastian nous accorde une interview fort intéressante.

Il nous explique que la nature du sol est un facteur primordial sur les arômes du vin. Par exemple, la Bodega Lurton possède trois parcelles aux propriétés pédologiques (c’est à dire du sol) différentes. L’une d’entre elles possède un sol bien proportionné entre argile-sable-galets, et le vin produit sur ce sol développera des arômes et des saveurs légères, florales. En revanche, sur une autre de leur parcelle, le sol est plus riche en argile, et le vin développera des arômes de fruits rouges à fruits des bois, plus forts et plus lourds. Il est donc primordial de bien connaître les propriétés des sols sur lesquels la vigne est cultivée.

«Mais comment se sont formés ces sols ? »

« Une grande partie du vignoble de Mendoza, et en particulier les vignobles de grande qualité, est cultivée sur ce que l’on appelle des cônes alluviaux, c’est à dire des dépôts sédimentaires issus de l’érosion de la Cordillère, située juste au-dessus de nous. Les sols qui se développent sur ce type de sédiments sont particulièrement adaptés à la culture de la vigne »

« J’ai l’impression que le climat est extrêmement sec dans la région, et pourtant la vigne a besoin d’eau pour produire du bon raisin. D’où vient l’eau ? »

« C’est vrai que le climat est sec, il ne pleut que 200 à 300 millimètres d’eau par an, soit trois fois moins que dans la région de Bordeaux. L’eau provient en fait de la Cordillère. Elle tombe sous forme de pluie ou de neige sur les sommets, puis s’inflitre dans le sous-sol et s’écoule lentement dans les nappes phréatiques. Cette eau d’une grande qualité s’écoule très lentement jusqu’au coeur des cônes alluviaux sur lesquels les vignes sont cultivées. L’eau est alors pompée et utilisée pour l’irrigation. Cette eau est d’ailleurs tellement bonne qu’elle est commercialisée comme eau minérale sous le nom d’Eco de los Andes. » Bref, les vignes sont irriguées à l’eau minérale, ce qui n’est pas banal et pourrait en faire bondir plus d’un.

« Si nous comprenons bien, les sédiments et l’eau provenant de la Cordillère, la Cordillère a donc un rôle primordial sur la qualité du vin ? »

« Exactement ! Et ce n’est pas tout ! C’est également la présence de la Cordillère des Andes qui contrôle le climat parfaitement adapté à la production du vin, c’est à dire ensoleillé toute l’année, fortes chaleurs durant la journée et nuits fraîches. Ainsi, de manière indirecte, les vins de Mendoza n’existeraient pas sans cette chaîne de montagnes remarquable ».


« Mais que pensez-vous si nous continuons notre entretien un verre à la main, ne serait-ce pas plus démonstratif ? » Quelle bonne proposition ! Sebastian nous emmène alors dans la cave, véritable cache au trésor. Des centaines de fûts de chêne sont alignés et empilés sur des dizaines de mètres. « Voici toute la production de la Bodega Lurton », nous dit-il d’une voix qui résonne dans cette salle immense. Sebastian s’approche alors de plusieurs fûts, et prélève quelques millilitres du précieux nectar. Il nous a sélectionné des vins provenant de sols différents pour tester les saveurs. « Tous ces vins sont issus du même cépage, le Malbec, et pourtant, vous sentez la différence ? » C’est incroyable, mais oui, la différence est frappante ! La dégustation se poursuit, et Sebastian nous décrit les propriétés gustatives et techniques des vins que nous avons dans nos verres. Nous apprenons des tas de choses, et nous avons une petite pensée pour nos amis d’Oslo, les Amis du Vin.




« Vous voulez goûter les autres vins de notre production ? », nous demande Sebastian. « Nous avons des blancs de Chardonnay, de Pinot Gris, et même des rosés. » Nous nous regardons un peu gênés : « Mais ..., tu ne devais pas partir à 14 heures ? Il est presque 15 heures maintenant. » Sebastian nous répond, un large sourire aux lèvres : « Lorsque l’on a un verre de vin à la main, le temps ne compte plus ! » Et le voilà parti échantillonner plusieurs cuves de vins blancs nouveaux, non filtrés et encore troubles, du vin rosé, tous excellents ! La dégustation dure jusqu’à près de 16 heures.



« Je suis bourrée », nous souffle Karen. « Ne t’inquiète pas, nous aussi ... ». Sebastian nous quitte vers 16h30, et nous le remercions le plus chaleureusement possible. Nous nous souviendrons très longtemps de cette dégustation, un jour férié, avec une personne ô combien passionnée par son métier, en Argentine. Mais la journée n’est pas terminée, et nous ne pouvons pas rester à la bodega pour la soirée à cause du concert qui va débuter dans une petite heure. Déjà, les premiers invités sont là, tous bien habillés, et nous regardent avec curiosité. Nous nous sentons un peu pouilleux, et nous décidons de repartir. Les 20 kilomètres qui nous séparent de Tunuyan seront laborieux pour l’organisme, l’alcool nous ayant coupé les jambes, mais joyeux. Enfin, arrivés à Tunuyan, nous décidons d’un commun accord après 2 secondes de réflexion de prendre un bus pour arriver à Mendoza. L’heure de trajet sera bien calme ...