mercredi 27 mai 2009

La traversée de la Puna (11 - 22/05/09)

Salta la Linda (Salta la Belle), tel est le nom donné à Salta, la capitale du nord-ouest argentin. Nous y avons passé 5 jours, au cours desquels nous avons profité de la nourriture locale (empanadas, humitas, locros) et apprécié la musique folklorique. Mais il est temps de partir et de nous préparer à une longue traversée, celle qui nous fera quitter l’Argentine définitivement : la traversée du plateau de la Puna, 500 km de route perchée à plus de 3500 mètres d’altitude. Le programme a de quoi être alléchant, ainsi qu’effrayant. Il ne faut en effet pas oublier que nous rentrons dans l’hiver, et que les températures nocturnes peuvent atteindre des extrêmes, comme nous le verrons plus tard. C’est donc armés d’un bon poncho en laine de lama et de vêtements chauds que nous quittons Salta. Notre première étape est des plus courtes : 20 km pour arriver à la maison de notre ami Victor, jeune géologue qui nous a invité à passer quelques jours chez lui. Quel bonheur ! Victor est d’un calme incroyable, et sa maison est perchée sur les contreforts de la cordillère, dans un décor idylique et sans bruit. Nous y passerons les 2 jours les plus reposants de notre voyage.


Lundi 11 mai, l’heure du départ a sonné. Nous sommes prêts à affronter la Puna. Nous quittons à regret Victor, et nous nous élançons sur la route, en direction de Jujuy, que nous atteindrons le lendemain. Jujuy est la porte d’entrée d’une des plus formidable vallée d’Argentine, les Quebradas de Humahuaca, classées patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. Et pour cause ! Les paysages sont à couper le souffle. Au milieu des montagnes noires et vert sombre, des îlots de roches rouges, jaunes, ocres, et parfois violettes, apparaissent comme par enchantement et illuminent de leur couleur incroyablement chaudes le reste de la vallée. C’est une incroyable vision que ces patchs colorés gigantesques sortis tout droit d’un film fantastique. Nous nous arrêtons à Purmamarca, petit village blotti au pied d’une de ces montagne de feu.


Purmamarca n’est pas seulement un petit village touristique charmant, c’est également le point de départ d’une des plus formidable ascension d’Argentine : la côte de Lipan, culminant à 4170 m d’altitude, alors que Purmamarca n’est qu’à 2000 m. La route emprunte dans un premier temps la vallée du rio Purmamarca sur une vingtaine de kilomètres. La pente est forte et nous avons du mal à avancer. Nous nous élevons rapidement, si bien que le souffle se fait court. Après une journée de route, nous atteignons l’altitude de 3000 m. Fatigués par cette dure journée, nous décidons de nous arrêter pour nous reposer assez tôt. Car le lendemain, le plus dur nous attend. Après quelques kilomètres, nous nous trouvons face à un mur, zébré par la route qui zigzague sur le flanc de la montagne. A cette vision, notre énergie et motivation s’envolent. Il va pourtant nous falloir lutter toute la journée pour venir à bout de cette ascension.



Après de longues heures de lutte, assommés par le soleil, nous basculons enfin au sommet de la côte de Lipan. A cette altitude, le souffle est court et la tête est compressée dans un étau. Devant nous s’ouvre alors un des plus formidable paysage de la Terre, un domaine à la limite du ciel, le plateau de la Puna, immensité presque plane dont l’altitude moyenne à 4200 m ferait rougir les plus hauts sommets alpins. Le paysage du sommet de la côte se traduit par une courte descente qui nous conduit au Salar Grande. Cette plaine de sel blanc immaculé est indescriptible, et les distances impalpables. Nous nous sentons perdus dans cette immensité blanche, bordée par des chaînons montagneux de quelque centaines de mètres de hauteur seulement. Seule la température dénonce l’altitude élevée : -4°C à l’intérieur de la tente ce matin, il faudra toute la matinée pour réchauffer l’atmosphère.






Pendant toute la semaine qui suivra, nous traverserons ce plateau majestueux. Malgré la haute altitude du Salar Grande (3500 m), nous n’avons de cesse de nous élever. Après chaque salar traversé, nous gravissons un petit chainon montagneux derrière lequel nous descendons, mais jamais autant que ce que nous avons monté pour le gravir. Ainsi, nous atteignons Susques à 3700 m, puis le Salar de Olaroz à 3900 m, le Salar de Jama à 4100 m, au pied du col de Jama à 4300 m, qui marque la frontière avec le Chili et nos derniers instants en Argentine. Mais nous ne nous arrêtons pas là car la route continue à s’élever côté chilien : Salar de Quisquiro à 4200 m. La température matinale s’en ressent : -4°C, puis -6°C et -7°C, à l’intérieur de la tente.




Mais ce sera la journée qui suivra notre bivouac au Salar de Quisquiro qui sera pour nous la plus difficile. Certes plusieurs cols sont indiqués sur la carte, mais les altitudes n’y figurent pas. Ce jour-là, nous avons toutes les peines du monde à avancer. Caro perd son souffle et doit s’arrêter constamment pour respirer. J’ai beau appuyer le plus possible sur les pédales, je n’avance qu’à 4 ou 5 km/h. Après plusieurs heures d’acharnement, encouragés par le peu de camions qui nous dépassent, nous atteignons enfin le sommet du Portezuelo Paranal tant convoité. Ce n’est qu’alors que nous vérifions l’altitude : 4840 m ! Caro s’effondre en larmes : « Nous avons gravi le Mont Blanc en vélo ! », me dit-elle à bout de force. Nous profitons quelques minutes de notre bonheur, avant que le vent glacial nous rappelle notre situation.



Nous entamons la descente dans un décor d’un autre monde, un désert entièrement minéral, dont l’horizon dessine de majestueux cônes volcaniques couronnés de fumeroles. Après une dizaine de kilomètres, le vient vient à bout de notre volonté. Il nous faut trouver un endroit abrité du vent, que nous trouverons au fonc d’un trou de remblai, dans le désert absolu, à 4500 m d’altitude. C’est une expérience que nous n’oublierons jamais. Le silence est absolu : pas de bruit de moteur, pas un bruit d’animaux, pas un bruit de feuille agitée par le vent. Rien, le silence absolu, dans l’immensité de la Puna. Nous prenons alors conscience de notre situation et de notre vulnérabilité, à la foi angoissante et excitante. Le froid commence à nous pincer les membres. La nuit qui suivra sera laborieuse, et le sommeil peu réparateur. Le lendemain matin, nous battons tous les records : -11°C à l’intérieur de la tente ! Toute l’eau de nos bouteilles et bidons est glace, et il nous est impossible d’en mettre dans la casserolle pour en faire chauffer. Le sac de couchage est givré là où je respirais. L’eau dans la thermos, que j’avais pourtant enfilée dans mon sac de couchage toute la nuit, est tiède. Nous avons du mal à apprécier notre petit déjeuner, le pain étant congelé. Soudain, un rayon de soleil vient illuminer la tente. Nous sautons dans les bras l’un de l’autre : il est l’heure où nous pouvons sortir et préparer notre départ.




Nous sommes à 85 km de San Pedro de Atacama, et nous avons 4 cols à franchir. Nous lutterons toute la journée dans un décor inimaginable de volcans couronnés de soufre, et de désert, toujours à plus de 4500 m. En plus, durant l’après-midi, notre ami le vent vient accroître la difficulté en soufflant en pleine face. C’est à l’arraché, aux alentours de 15h, que nous apercevons alors un panneau : « Zone de virages et de fortes pentes ». Youpi ! Nous y sommes ! Nous voici arrivés sur la bordure occidentale du plateau de la Puna, avec devant nous 40 km de ligne presque droite, une descente formidable qui nous mènera de 4600 m à 2500 m. C’est donc en fin d’après midi que nous arrivons à San Pedro de Atacama, que nous convoitons depuis tant de jours. Le soleil couchant embrase tous les volcans de la cordillère, dominant l’immense Salar de Atacama. La nuit vient ponctuer cette traversée qui restera gravée dans nos mémoires.