vendredi 26 juin 2009

La traversée du Sud-Lipez (Bolivie)

Nous y sommes: c'est le grand départ pour la Bolivie !
Deux familles francaises voyageant en camping-car nous proposent de nous monter jusqu'à la frontière. Nous acceptons avec soulagement car nous connaissons bien la côte qui mène vers la Bolivie pour l'avoir descendu : 40 km en ligne droite et une pente à 15%....nous allons ainsi gagner 2 jours de montée infernale! Les vélos sont engouffrés dans le van de la famille Lebourg (http://lebourgdumonde.typepad.fr/) et nous prenons place dans le camping-car de la famille Meriguet( http://www.meriguet-tour.com/) avec les enfants. Une demi-heure plus tard et un quart de litre d'essence en moins, nous y sommes, terrassés pour la plupart par un mal de tête et frigorifiés. Eh oui, nous sommes passés de 2500 m à 4500 m tout de même!



Devant nous s'ouvre un autre univers: un désert de roches rougeâtres et jaunâtres surplombées par de gigantesques volcans. Des renards donnent un peu de vie à ce décor irréel. La première étape nous emmène à la Laguna Blanca où nous passons une nuit d'adaptation avant de commencer les choses sérieuses. Nous y rencontrons Maud et Baptiste, cyclos suisses, qui nous fournissent des infos précieuses sur le parcours Sud-Lipez, ainsi que Aurélie et Julien, marcheurs francais, qui connaissent déjà la Géoroute Andine grâce à Alexandre que nous avions rencontré à San Pedro...serait-ce le début de la célébrité?
Les -15ºC (dans la tente) au réveil le lendemain nous rappellent vite que la nature est hostile ici. Heureusement, le soleil nous réchauffe vite et nous nous élancons vers la laguna verde sans craindre le froid. Surprise! Un cours d'eau à passer...argh, l'eau n'a pas l'air bien chaude. Repérage, estimation de la hauteur d'eau, et c'est parti pour une traversée un peu crispée sous les regards amusés de touristes en 4x4, qui s'empressent de dégainer leurs appareils photos sans même sortir de leur véhicule ni nous adresser la parole. Clic clac, les cyclos fous sont dans la boîte... il y a des jours où l'on se sent plus animal qu'humain! Dommage qu'on n'ait pas de fourrure comme les lamas pour se protéger du froid.




Un premier col nous attend à 4850 m environ. Nous devons impérativement le passer avant la nuit pour dormir à plus basse altitude. Le soleil descent inexorablement vers la cime des montagnes tandis que nous luttons sur la piste très sableuse. Olivier se met lui aussi à pousser son vélo, puis revient régulièrement pousser le mien. L’altitude ne semble pas l’affecter; il semble être dans son élément alors que je peine à marcher et que je souffle comme une baleine…Le froid nous enveloppe rapidement, l’ombre sétend mais le col est passé.

“Nous pouvons essayer de planter la tente ici?”, me dit Olivier en montrant un gros rocher qui nous protégerait du vent à 10m de la piste. Les mains et pieds gelés, exténuée par la fatigue, je ne peux pas m’empêcher de répondre avec violence et désespoir: “On n’essaye pas! On met la tente sinon on va mourir de froid!”. Le mode survie est déclenché. Le paysage a beau être irréel, il n’en est pas moins extrême. Plus personne ne passera ce soir, nous sommes seuls, balayés par le vent glacé à 4700m d’altitude.




Les jours suivants se ressemblent: des cols dont un à 5000m, une piste sableuse, de nombreuses heures de poussage, le vent, le froid, un va et vient de 4x4 de touristes ne laissant pour souvenir qu’un nuage de sable et de poussiere qui colonise nos narines dessechées. Nous battons le record de température avec -17ºC dans la tente à côté de la Laguna Colorada. On se demande encore comment nos organismes ont pu résister et s’adapter à ces conditions. Il est vrai que les décors géologiques surréalistes contribuent à faire oublier les douleurs physiques. Des volcans souffrés au “désert de Dali”, du salar de Chaiviri aux geysers les plus hauts du monde (Sol de la Mañana) et les lagunas. Tous exposent leurs couleurs comme pour équilibrer le climat hostile de ces terres altiplaniennes. Ce sont aussi les rencontres qui nous remontent le moral, comme celle de Steph et Cédric, rencontrés à San Pedro et que nous retrouvons par 2 fois sur la piste avec comme cadeau de soutien du chocolat et du jus de fruit.






A la laguna Colorada, nous faisons le plein d’eau à la cabane du gardien du parc. Nous decidons de changer d’itinéraire car nos vélos ne sont pas adaptés pour traverser des zones très sableuses. A cet endroit, nous avons 2 routes possibles pour retrouver le “chemin international “ que nous supposons meilleur. Nous demandons conseil à Virgilio, le gardien, qui nous répond:
“Pour aller à Queteña, il y a 5km de côte et après, que de la descente. La piste de Villa Mar est difficile, il y a beaucoup de sable et de côtes.”
“Vous êtes sûr qu’il n’y a que 5km de côte?”
“Oui” répond Virgilio de façon évasive.
“Comment est la piste? Il y a de la tôle ondulée?”
“Beaucoup de pierres. Non, pas trop de tôle ondulée”.
Après quelques minutes de questionnement, nous sommes un peu sceptiques sur la qualité des informations. Les réponses sont incoherentes et Virgilio ne semble pas connaître les alentours. Nous optons finalement pour les 5km de côte.


“Si je le revois, je l’étrangle! Comment peut-on être gardien de parc national et ne rien connaître des pistes!! Ca fait 7km que nous montons, nous sommes à 4500m et d’après la carte, nous sommes sensés passer à plus de 4800 m! C’est sûr, on ne passera pas le col ce soir…” s’écrie Olivier furieux après Virgilio.
Devant nous, une ligne droite en montagnes russes nous nargue. A chaque butte que nous passons en apparaît une nouvelle toute aussi raide et sableuse que les précédentes.
“Calme-toi, on a fait pire comme campement, on va monter un mur pour se protéger du vent et la douche, ce sera pour demain. Ceci dit, j’en ai marre de monter des “Mont-Blanc”….je prefererai les manger!”
Olivier me fusille du regard. Après plusieurs jours de avoine-pâtes-semoule nature, les références gastronomiques sont taboues. Nous passons une nuit supplémentaire à 4700m dans un silence hors du commun: pas une habitation à des km, quelques rares vigognes, pas une voiture. Pour rejoindre le col, il nous faudra encore une matinée avec en tout 17km de côte.



Queteña: notre premier village bolivien. Nous retrouvons les maisons en pisé comme dans le nord Argentine et Chili mais avec le dépotoir dans les cours et la décharge encerclant le village. Les femmes portent des chapeaux sur leurs longues tresses brunes et les jupes colorées typique de l’altiplano. Nous repartons rapidement vers le nord avec les explications routières de Daniel:
”Vous allez traverser une petite rivière puis une autre plus profonde. Ensuite, il y a une grande côte et en haut, prenez la piste de gauche, elle est plus facile que la piste principale car elle suit la vallée”.

“Si je le revois, je l’étrangle!” hurle de rage Olivier quelques heures plus tard.
Nous avons bien suivi les indications de Daniel, mais la piste est tellement pierreuse qu’elle en est impraticable. Nous poussons nos vélos pendant 2h sans relâche, en côte, mais également sur le plat et en descente. Nos nerfs sont à vif. Pour la première fois depuis le début de la Géoroute Andine, nous avons le sentiment que la nature nous repousse. Le moindre problème peut nous être fatal puisqu’il n’y a personne à des km à la ronde. Le lieu est vide de vie, nous ne voyons aucun oiseau, aucune vigogne. C’est un désert de pierre.
“Encore une chance que rien ne casse!” dit Olivier démoralisé d’avoir à pousser le vélo.
“A chaque fois que tu dis ça, il y a quelque chose qui pète, alors ne dis rien s’il te plaît!”.
Quelques minutes plus tard, j’entends un “ting” suivi d’un juron: c’est l’attache du porte-bagage avant d’Olivier qui vient de rendre l’âme.

Nous retrouvons finalement le “chemin international” tout aussi sableux que les pistes précédentes. Les montagnes russes s’enchaînent sur les coulées de lave érosives des volcans environnants. Le moral est si bas que nous en détestons ces paysages volcaniques…un comble pour des géologues!


Enfin Soquequiña! Nous nous léchons les babines à la vue du panneau d’entrée indiquant la présence d’un restaurant. Mais lorsque nous demandons où se situe le restau à un curieux, celui-ci nous répond:
“Il faut commander à l’avance pour avoir un déjeuner!”. Mais bien sûr, c’est tellement évident! La déception peut se lire sur nos visages. Le moral chute une seconde fois à notre entrée dans le minuscule négoce: ce sera déjeuner crackers pour les prochains jours. Notre espoir se déplace maintenant sur le prochain village San Cristobal. Le problème est que nous ne savons pas quand nous y arriverons car notre carte est fausse. Cette incertitude est difficile à accepter mais nous n’avons guère le choix, nous devons avancer le plus loin possible chaque jour.



Encore une mauvaise surprise de notre carte qui indique que nous suivons une rivière. Or, la piste traverse la rivière et celle-ci est partiellement gelée! Nous restons 2 heures à explorer les rives sur 2km de chaque côté pour trouver l’endroit le moins profond tout en espérant l’arrivée d’un véhicule. Nous avons bien peu d’espoir car nous n’en avons croisé qu’un seul la veille. Lentement, nous nous déchaussons, enfilons nos sandales, remontons nos cuissards aux genoux, jettons un dernier regard à la piste et avançons dans l’eau les dents serrées au milieu des glaçons. Les galets roulent sous les roues du vélo, mais par chance, ne l’arrêtent pas. “Vivifiant” lance Olivier ironiquement en se séchant les pieds déjà bleuissants.



Même si nous n’avons plus l’enthousiasme pour regarder la géologie, nous remarquons l’évolution du paysage. Après tous les dénivelés liés à l’activité volcanique, nous entrons dans une zone plate qui justifie enfin le nom de l’Altiplano (haut plateau). Plat, oui, mais plus facile, non! Ici, Chacun crée sa piste tellement la principale est mauvaise. Nous aussi, nous nous créons un passage sur le bas-côté entre les buissons pour limiter les secousses. Nous sommes sur un ancien salar où la végétation a pris racine. Au loin, en bordure du salar, surgissent les sommets de la Cordillère Orientale.


San Cristobal. D’ici, nous voulons obliquer vers l’ouest pour arriver au sud du salar d’Uyuni et le traverser. Nous prenons des renseignements à l’office du tourisme pour trouver la piste indiquée sur les cartes.
“Ah, non, je ne connais pas cette piste. Il n’y a qu’une seule route qui passe à San Cristobal, c’est celle qui va à Uyuni”
Nous montrons nos cartes à notre interlocutrice mais sa réponse reste négative.
“Uyuni, c’est à combien de km?” demandons-nous, résignés à passer par cette ville.
“…(silence) 300km” répond-elle.
“Ben non, enfin, ce n’est pas possible!” dit Olivier sur les nerfs en montrant sa carte.
“Euh…200km?” nous dit la fille d’un air interrogateur comme s’il s’agissait d’un jeu ou d'une négociation.
“Mais non, arrêtes de dire n’importe quoi, c’est à moins de 100km !” s’énerve Olivier. “On veut juste savoir si c’est à 50 ou 70 km pour estimer la durée du trajet !”
L’ignorance transparaît dans les yeux de notre interlocutrice et nous n’insistons pas plus.
“Demandons à des hommes, ce sont eux qui conduisent ici, nous aurons plus de chance d’avoir une réponse correcte” dis-je.
Pas de chance, les hommes que nous interrogeons ne sont pas plus cohérents dans leur réponse. Nous abandonnons la partie et prenons la route d’Uyuni dépités par le comportement des Boliviens qui préfèrent raconter n’importe quoi plutôt que de répondre “je ne sais pas”.
La route dite “bonne” par les locaux s’avère être infernale. Avec le même profil que les pistes précédentes, il faut ajouter un traffic incessant de camions et 4x4, la poussière qui va avec et le vent très défavorable. 30km de plus que notre estimation pour rejoindre Uyuni, c’est peu, mais c’est 2 à 3h de plus pour nous et c’est aussi une 10eme nuit sans douche et sans bon repas. Nous sommes épuisés, usés par les pistes, déçus de ne pas pouvoir traverser le salar, énervés d’avoir choisi une piste aussi mauvaise et beaucoup moins belle que celle initialement prévue et furieux après toutes ces personnes ignorantes. Nous savons que ce dernier sentiment est injuste car les populations n’ont pas accès à une bonne éducation, mais la fatigue morale et physique est dominante.
Puants, la peau blessée par les frottements du cuissard, les secousses des pistes et le manque d’hygiène, écoeurés par notre nourriture légère certes mais terriblement mauvaise, nous n’avons qu’une seule idée en tête: Uyuni! Cette ville, on la voit depuis des heures au bout de la ligne droite, comme un mirage. Plus que 30km, plus que 20km, plus que 10km…nous pleurons de rage et de douleur sur cette piste de tôle ondulée où l’on n’avance pas. Uyuni, le salar, on s’en fout, nous n’avons même plus envie d’y aller. C’est une douche chaude que nous voulons, c’est un bon repas que nous voulons, ce sont des fruits et autres douceurs dont nous rêvons. Nous voulons revivre et oublier cette piste infernale.
Uyuni ou le supplice de Tantale.
Plus que 5km, 1h encore.