samedi 27 juin 2009

Le salar d’Uyuni (Bolivia, 12-14 /06/09)

Uyuni. Nous nous sentons comme dans un rêve en arrivant en vue de la petite cité touristique après avoir lutté près de 10 jours dans le Sud-Lipez. Tous les touristes que nous avons croisé nous le disent : Uyuni, le salar, c'est magique. En attendant, la première image d'Uyuni, en entrant dans la périphérie de la ville, est une immense décharge où les gens vont faire leurs besoins, faute de sanitaires à domicile. Magique ...

Nous entrons dans la ville, deux fantômes à bicyclette, et nous engouffrons dans la rue principale. Nous nous arrêtons devant ce qui est pour nous le plus beau des cadeaux : le marché, une explosion de couleurs, d’odeurs et de saveurs ! Nous nous précipitons sur des gâteaux que nous engouffrons en un clin d’œil tant ils nous font envie, après les 10 jours de pâtes-semoule. Succulent ! Puis nous cherchons activement un hôtel, avec douche, qui sera finalement tiède-froide. Qu’importe ! Enfin, nous serons propres. L’après midi passe, et la nuit tombe. Il est l’heure de dîner, et nous nous rendons dans un petit restaurant local typique. Nous y engloutissons notre assiette de poulet-frites-riz, sous l’œil amusé des locaux. En sortant, de regarde Caro : « J’ai encore faim ». « Moi aussi », me répond-elle. Nous trouvons alors un deuxième restaurant local où nous finissons de nous remplir le ventre. Enfin repus, nous allons nous coucher, éreintés, brisés par les efforts des jours derniers.

Le lendemain matin, nous prenons notre temps, car l’étape qui nous attend est des plus courtes, 20 km, pour atteindre le village de Colchani, porte d’entrée du salar s’Uyuni. Facile ! Et pourtant, la piste est tellement mauvaise qu’il est plus facile de rouler sur le bas-côté … Après 3 heures d’effort, nous arrivons enfin à Colchani, village où règne une atmosphère étrange qu’il nous est impossible de définir. Nous traversons rapidement le village et nous rendons aux portes du salar : devant nous s’ouvre alors un paysage hors du commun, une immense plaine de sel de près de 200 km d’est en ouest. Gigantesque. De l’autre côté du salar, nous n’arrivons même pas à distinguer les montagnes de la Cordillère Occidentale, culminant tout de même à 6000 mètres d’altitude. Nous nous sentons au bord d’une mer asséchée, mais nous sommes à plus de 3600 mètres d’altitude ! Comment un tel paysage peut-il se former ?







La réponse est à la fois simple et complexe. Le salar traduit la surface d’un ancien lac, comme le lac Titicaca. Ce lac avait une particularité : il n’était pas connecté à la mer, c'est-à-dire qu’il n’y avait pas de rivière qui déversait les eaux du lac dans des régions plus basses, puis vers la mer. Au contraire, toutes les rivières venaient des montagnes alentour, et se jetaient dans le lac. Ce type de bassin fermé est un bassin endoréique. Ainsi, au cours du temps, les rivières ont transporté des sédiments qui se sont accumulés au fond du lac, qui s’est peu à peu comblé, puis asséché.



Mais pourquoi y a-t-il autant de sel, comme dans le salar d’Atacama ? La cause est également le caractère endoréique du bassin d’Uyuni. Comme en Atacama, les eaux qui ruissèlent sur les montagnes environnantes dissolvent des minéraux dans les roches, dont des sels, en infimes quantités, avant d’atteindre le lac. Dans le cas d’un lac normal, les eaux s’écoulent ensuite vers la mer, emportant les sels avec elles. Mais dans le cas d’un bassin endoréique comme celui d’Uyuni, l’eau ne peut s’échapper que par évaporation. Or, seule l’eau s’évapore, laissant les sels dans le lac. Ainsi au cours du temps, les eaux des rivières apportent des sels qui se concentrent dans le lac au fur et à mesure que l’eau s’évapore. Les sels s’accumulent dans le lac, pour former finalement un salar.


En entrant dans le salar, nous apercevons une multitude de monticules de sel : le sel d’Uyuni est exploité, artisanalement. Les hommes que nous voyons travailler sur le salar semblent des zombies, le moindre centimètre carré de leur peau étant recouvert de tissu. Il faut dire qu’ils doivent doublement se protéger contre les rayonnements du soleil (nous sommes à près de 4000 m d’altitude) et la réverbération du soleil sur le sel blanc, et contre le caractère corrosif du sel. Leur travail est entièrement manuel : ils piochent le sel, l’accumulent en tas pour le faire sécher, puis le chargent à la pelle dans des camions.



Abasourdis par leurs conditions de travail hallucinantes, nous retournons à Colchani, où nous nous arrêtons un moment. Nous prenons alors conscience du sentiment étrange de la veille : la ville est en grande partie détruite. Des rangées de ruines effondrées s’élancent sur des centaines de mètres, parcourues par des cochons en liberté. A l’époque de la grippe porcine, ce n’est pas de meilleur augure… Il nous semble être à la fin d’une guerre, après un bombardement. Le site est lugubre, et nous ne nous sentons pas très à l’aise.




Nous décidons quand même de prendre notre déjeuner, devant un bâtiment qui ressemble à un musée. Pendant que nous dégustons notre boîte de thon quotidienne, une jeune femme portant un jeune bébé dans son dos, sort du musée et nous accoste : « Venez visiter le musée, vous y apprendrez des tas de choses sur les lamas et le sel d’Uyuni et son exploitation ». Nous entrons dans la bâtisse construite en briques de sel, et écoutons attentivement les explications de Katia ! « Vous savez, le travail du sel est très dur. Nous sommes une centaine de familles à travailler le sel à Colchani. A cette époque de l’année, il fait très froid, mais un travailleur produit deux tas de sel par jours. Les salaires ne sont malheureusement pas élevés : la tonne de sel est vendue 60 Bol (6 €), qui seront répartis entre les personnes de la chaîne du sel. En effet, la production du sel comprend plusieurs étapes : l’extraction dans le salar, le séchage, le rajout d’iode, et enfin l’empaquetage. Le salaire moyen par tonne de sel est donc de 15 Bol (1,50 €) seulement.






Nous lui demandons alors pourquoi il y a tant de ruines à Colchani. « C’est parce que les gens sont partis en abandonnant leur maison, faute de travail. Maintenant, ça va mieux, il y a plus de travail avec le sel, et les gens reviennent peu à peu. »


« Existe-t-il une sorte de coopérative pour centraliser et organiser la production et la vente du sel ? »



« Non », nous répond-elle. « Chaque famille possède une « parcelle » dans le salar, transmise de génération en génération. Chaque famille est indépendante. »

Nous remercions Katia pour son accueil chaleureux, et nous apprêtons à prendre la route du retour à Uyuni. Nous croisons alors une file de 4x4 pleins de touristes. Katia nous regarde, déçue : « Peu de touristes s’arrêtent à mon musée. D’ailleurs, ils ne s’arrêtent pas souvent à Colchani ». Quelle tristesse dans les yeux de Katia, qui voit défiler les touristes pour qui son musée a vu le jour, et qui semblent ne pas s’y intéresser, préférant la sensation forte du centre du salar, destination touristique internationale.