dimanche 28 juin 2009

Potosí : la ville qui a changé le monde (Bolivie, 20/06/09)

Potosí. Ce nom résonne comme un rêve, celui d’un Eldorado perdu. Que s’est-il passé à Potosí ? Les espagnols, lors de la colonisation de l’Amérique du Sud au XVI siècle, ont découvert le plus gros gisement d’argent de tous les temps, concentré dans une seule montagne : le Cerro Rico (la Montagne Riche). Et cette montagne porte bien son nom : pendant plusieurs siècles, le Cerro Rico de Potosí a inondé l’Espagne, ainsi que le reste de l’Europe, en argenteries d’une grande valeur. La quantité totale d’argent du Cerro Rico acheminée en Europe est inestimable. Avec un tel pactole, l’Espagne, qui se croyait assise sur une mine inépuisable, a gaspillé ce trésor, en s’endettant lourdement. Mais comme toute richesse terrestre, les mines du Cerro Rico de Potosí se sont peu à peu épuisées, et le grand Royaume d’Espagne de l’époque ne réussissait plus à éponger ses dettes : à deux reprises, il fut déclaré en banqueroute, perdant tout de son prestige et de sa puissance. Le Cerro Rico de Potosí a donc, en faisant écrouler le royaume d’Espagne, contribué au bouleversement de l’Europe.


Qu’en est-il aujourd’hui ? Les mines ne sont plus ce qu’elles étaient. Les filons se sont peu à peu épuisés, et surtout, avec les variations du cours des métaux, leur exploitation ne devenait plus rentable. Malgré tout, aujourd’hui, le Cerro Rico est toujours en exploitation. Des mineurs, regroupés en coopératives, continuent d’extraire le fameux minerai d’argent, mais également d’étain, de plomb, et d’autres métaux.




Aujourd’hui, la ville de Potosí respire encore ce passé colonial glorieux. Les édifices datant de l’époque coloniale sont de toute beauté : des portails massifs, des balcons en bois finement sculptés, des façades resplendissantes. Il règne à Potosí une atmosphère particulière, où l’histoire rejoint le présent. Et Potosí n’oublie pas son passé et cherche à le valoriser : des agences touristiques proposent la visite des mines, à l’intérieur du Cerro Rico. Avec notre guide Renan, nous allons donc explorer les entrailles de la Terre et du Cerro Rico, et rendre visite aux mineurs.





En route pour le Cerro Rico, Renan nous arrête au marché des mineurs afin d’acheter des cadeaux aux mineurs. Renan nous explique que les mineurs ne mangent pas de la journée (8 à 11 h de travail), et qu’ils compensent en mâchouillant des feuilles de coca, coupe-faim et stimulant. Nous achetons également quelques petites sucreries. Mais surtout, nous ne devons pas oublier une bouteille d’alcool à 96%, que les mineurs boivent pour conjurer le mauvais sort et s’attirer la chance ! Après un petit magasin assez classique, Renan nous emmène dans une échoppe un peu plus particulière : nous y achetons 6 bâtons de dynamite à 3 Bol chacun (0,30 €, le prix d’un café en Bolivie !). Plus des mèches lentes et des détonateurs. Nous hallucinons un peu, nous pourrions faire sauter la ville pour quelques centaines d’euros !



Renan nous conduit au local de l’agence où nous enfilons des pantalons et vestes imperméables, ainsi que des bottes en caoutchouc et le fameux casque de mineur orné d’une lampe électrique. Une fois notre équipement enfilé, nous repartons dans le 4x4, et cette fois pour la mine. Nous nous arrêtons au pied de la fameuse montagne. Elle nous domine et nous sentons le poids de l’histoire peser sur nos épaules. Nous la regardons avec le plus grand respect, connaissant le nombre incalculable de travailleurs morts dans des conditions atroces pendant l’époque coloniale. Renan nous donne les dernières consignes avant de nous engouffrer dans les galeries qui plongent dans les entrailles de la montagne. Nous sommes dans une des 615 mines qui percent le Cerro Rico, dont 175 seulement sont encore en activité.



Nous avançons dans une galerie humide et étroite. Mon casque est de grande utilité car je me cogne la tête des dizaines de fois sur le plafond rocheux et les étais tordus voire rompus. Soudain, Renan nous crie : « Mettez-vous sur le côté, un wagon arrive ! ». Nous nous collons contre la paroi de la galerie en voyant arriver un wagon rempli de minerai, poussé par trois mineurs seulement. Le wagon déraille à de nombreuses reprises, et pour cause : les rails ne sont pas fixés, et certains sont en bois ! « Le wagon chargé pèse une tonne, vous savez », nous dit Renan. Ebahis, nous regardons passer les trois mineurs, qui ont toutes les peines du monde à pousser dans la bonne direction le wagon.



Après de longues minutes, nous arrivons au fond de la galerie. Nous regardons alors les murs, qui brillent de toute part. Des reflets jaunes, argentés, parfois verts, étincellent sous la lumière de nos lampes. Nous avons l’impression d’évoluer dans un trésor. Renan coupe court à nos rêveries. « Nous devons descendre de plusieurs niveaux », dit-il en nous montrant un trou dont nous ne distinguons pas le fond. « N’ayez crainte, il y a une corde, puis une échelle ». Il s’engouffre alors dans la galerie verticale avec assurance et agilité. Nous le voyons alors disparaître dans la pénombre. Après quelques minutes, nous entendons une voix étouffée : « A vous ! ».


Nous nous élançons dans le vide, un peu crispés. Au cours de la demi-heure qui suivra, nous passerons plusieurs échelles et goulets étroits. Renan nous dit soudainement : « Ecoutez ». Nous entendons alors des coups sourds provenant du fond de la galerie. « Ce sont les mineurs, ils sont tout proches. Allons-y ». Après quelques minutes, nous arrivons en vue d’une lumière, devant laquelle s’agite une silhouette à casser des cailloux au marteau. « Nous y sommes ». « Hola ! », nous disent chaleureusement les mineurs. Ils sont cinq à travailler dans cette veine. Il fait très chaud (environ 35-40ºC) et ils transpirent abondamment. Les conditions de travail sont indescriptibles : aucune sécurité, aucun outil moderne, tout ou presque manuellement.
Renan montre alors aux mineurs les cadeaux que nous leur avons amenés. Leurs yeux s’illuminent en voyant la bouteille d’alcool, qu’ils ouvrent immédiatement et qu’ils font tourner sous nos yeux ébahis. Ils échangent quelques mots avec Renan en Quechua, langue des Incas, avant que nous n’entamions une discussion avec eux en espagnol. Tout en s’attelant à arracher des blocs de minerai étincelant, ils nous parlent de leurs conditions de vie, dures et incroyables de nos jours. Ils travaillent 8 à 11 heures par jours, six jours sur sept. Les mineurs sont organisés en groupes de travail, associés en coopératives. Chaque groupe est maître de sa production, qu’il vend aux industriels pour être raffiné en argent et autres métaux, avant d’être exporté en Europe, principalement. Le fruit de la vente est partagé équitablement entre les membres du groupe, en moyenne 600 Bol (60 €) par semaine.





« Vous n’avez pas envie de changer de travail ? »

« Non, il n’y a pas de travail en ville. Et puis les gens nous respectent, nous faisons le travail le plus dur et le plus respecté. Nous avons commencé à 14 ans, et nous continuerons. » « Jusqu’à quel âge travaillez-vous ?, demande Caroline. C’est Renan qui nous répond, à voix basse pour ne pas être compris des mineurs : « Cela dépend de leur maladie … ». Cette maladie, c’est la silicose, qui atteint tout mineur. C’est la poussière produite lors de l’extraction du minerai qui encrasse les poumons des mineurs, et entraine des fibroses pulmonaires, puis la mort. Tout en discutant, nous comprenons alors que ces mineurs savent le sort qui les attend …



« Il est temps de remonter », nous dit Renan. « Attendez ! », nous dit le plus vieux des mineurs. Il arrache alors un bloc du plafond de la galerie, encore plus brillant que les autres, puis en tend un morceau à Caroline, un large sourire aux lèvres : « C’est le plus pur des minerais d’argent, emporte-le, c’est notre cadeau ». Caroline le prend, en ne le perdant pas des yeux, grands ouverts sur ce trésor offert par ces forçats de l’argent. Nous n’osons que dire devant ce cadeau d’une grande symbolique. Nous échangeons un dernier regard avec le vieux mineur, qui nous salue une dernière fois, un large sourire égaillant son visage en sueur.

Nous laissons alors nos nouveaux amis, dans leurs conditions de travail dignes de Germinal, et remontons vers la surface, le confort et la facilité. Nous sommes heureux d’avoir partagé ce moment fort avec les mineurs de Potosí, mais nous nous sentons impuissants et presque honteux de leur avoir volé ce moment. Nous ressentons alors l’immense fossé qui existe entre eux et nous, et notre situation plus que confortable nous met mal à l’aise. Dorénavant, nous ne regarderons plus les objets d’argent de la même manière, et nous aurons toujours à l’esprit cette rencontre avec ces hommes qui semblent sortir d’un autre siècle.