lundi 29 juin 2009

Sur les traces des dinosaures, Sucre, Bolivie (25/06/09)

Nous quittons Potosí émerveillés par la splendeur et le poids de l’histoire, hérités du Cerro Rico, et nous nous dirigeons vers Sucre, capitale constitutionnelle de la Bolivie. Après deux jours et 180 kilomètres d’effort, nous atteignons la ville blanche, dont l’architecture coloniale est à la mesure de celle de Potosí. Là encore, bien plus qu’au Chili et en Argentine, l’histoire et la culture respirent de toute part, et nous nous sentons comme absorbés dans l’époque coloniale et de l’indépendance obtenue par le héros national Simon Bolivar, ici-même à Sucre.

Mais c’est une toute autre histoire, bien plus ancienne, qui nous a conduit à Sucre : celle des mythiques dinosaures. Avant notre départ, nous avions entendu parler d’un fantastique site paléontologique où des milliers d’empreintes de pas de dinosaures sont fossilisées dans la roche. Avec l’aide de Loïc, un ami paléontologue, et du professeur Christian Meyer, qui avait travaillé sur ces empreintes de dinosaures, nous avions tenté de contacter le découvreur du site, Klaus Schutt, en vain. Le lendemain de notre arrivée, nous nous dirigeons vers l’office de tourisme, qui nous indique gracieusement l’adresse de Klaus, et qui nous prend même un rendez-vous avec lui. C’est si simple sur place! A l’heure dite, nous nous trouvons au pied d’une massive porte en bois finement sculptée sur un fond de mur d’un blanc éblouissant. Nous sonnons.





Après un certain temps, la porte s’ouvre ... sur un escalier vide. Cependant, un homme se tient debout à son sommet, une cordelette à la main qui est reliée au loquet de la porte. Drôle de présentation ! Amusé par notre surprise, Klaus Schutt nous accueille très aimablement. Nous traversons son appartement, magnifique demeure coloniale, dont la décoration est des plus rafinées. Il nous invite à nous asseoir sur un beau sofa, dans un immense salon donnant sur un patio d’un calme apaisant. Klaus est un homme de grande taille et longiligne, pas vraiment le stéréotype du bolivien : les yeux bleux et les cheveux blancs. Normal, il est allemand !

Nous lui expliquons notre projet et le but de notre visite. Tres intéressé dans un premier temps, il éclate de rire quand nous lui expliquons que nous voyageons en vélo. Mais quelques minutes plus tard, il nous dit : « Vous savez, les empreintes sont inaccessibles au public depuis deux ans. Les autorités touristiques ont bâti un parc d’attraction qui a coûté une fortune, et ils ont décrété que ce parc devait être prioritaire. Elles ont donc condamné l’accès aux empreintes, afin que le public se concentre sur le parc afin de le rentabiliser. Mon business était d’emmener les touristes au pied des empreintes et de leur en expliquer l’origine. Maintenant, je ne peux plus le faire. »

Nous sommes dépités. Nous lui demandons s’il est possible d’obtenir une dérogation à cette interdiction. Malheureusement, l’accès est même restreint pour lui. Malgré tout, nous lui demandons son accord pour faire une interview. Il regarde alors sa montre. Mauvais signe, pensais-je. « Vous avez quelque chose à faire ? », nous demande-t-il. « Si ce n’est pas le cas, je peux vous emmener au parc maintenant, et vous pourriez faire l’interview sur place. C’est la meilleure heure pour bien voir les empreintes et les photographier, de loin.» Quelle surprise ! Nous acceptons avec joie.



En arrivant au parc, Klaus nous montre les énormes têtes de dinosaures reproduites au-dessus de la caisse d’entrée du parc. Nous y sommes ! En nous avançant, Klaus nous montre alors des plaques en bois, posées sur le mur. « Le chemin sur lequel nous sommes est censé représenter l’histoire de la Terre, et les plaques indiquent les événements marquants de l’histoire de notre planète », nous explique-t-il. « Venez voir comme c’est ridicule. » Il nous montre alors une plaque sur laquelle il est écrit : Extinction Cambienne. « Incroyable, n est-ce pas ? Aucun dessin, aucune explication, rien qui ne permette de faire comprendre au public ce que cela représente. Et ce n’est pas tout ». Il nous montre alors des plaques avec des noms tels que Glossopteris, Peces Placedermos, ou encore Formation Cagarpi. « Vous croyez vraiment que les boliviens, qui n’ont aucune connaissance géologique puisque les sciences de la Terre ne sont pas enseignées, peuvent comprendre un seul mot de ce qui est écrit là ? Voici l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire en vulgarisation scientifique dans un parc ouvert au public.» Il faut bien vous avouer que nous-même n’avons aucune idée de ce que certains de ces noms représentent.




Au cours de l’interview qu’il nous accorde ensuite, Klaus nous explique comment il a découvert ce site remarquable en 1994. Quand sa fille était petite, elle s’était passionnée pour les dinosaures. D’un naturel curieux, Klaus s’était lui même documenté sur le sujet, et avait appris la paléontologie en autodidacte. Un jour, il visitait la carrière de calcaire de Sucre, exploitée pour faire du ciment, avec des amis. Dans cette carrière, une couche géologique quasiment verticale avait été dégagée depuis 15 ans par l’extraction. Cette dalle rocheuse étant trop riche en magnesium pour être exploitable, les techniciens de la carrière avaitent arrêté l’exploitation pour ouvrir un autre front de taille plus loin. Klaus et ses amis se baladaient le long de ce front de taille abandonné, lorsqu’ils virent des milliers de formes étranges sur la paroi ressemblant à des empreintes de dinosaures. Pour s’assurer de cette découverte extraordinaire, il se rendit alors au parc de Toro Toro, situé plus à l’ouest, où des empreintes de dinosaures avaient été documentées. La comparaison fut formelle : les traces de Sucre étaient bien des empreintes de dinosaures. Il venait de découvrir le plus grand gisement au monde d’empreintes de dinosaures, avec 5055 empreintes individuelles sur une paroi de plus d’un kilomètre de long.

Klaus nous explique que de nombreux paléontologues (équipe Suisse de Bâle, entre autres) sont venus travailler sur ce site. Ils y ont décrit des dizaines d’espèces de dinosaures de l’époque Crétacé.
Mais comment ces empreintes se sont-elles formées ?
Il faut s’imaginer qu’au Crétacé, les Andes n’existaient pas, mais qu’il y avait, à la place, une mer peu profonde. A proximité de la côte, des baies similaires à celle du Mont Saint Michel existaient, si bien que les dinosaures pouvaient les traverser en laissant des empreintes de pas dans le sable ou dans la boue. Rapidement après un de leur passage, une crue provenant de la côte a apporté une grande quantité de sédiments (sables, boues) dans la mer. En se déposant au fond de la baie, ces sédiments ont recouvert les empreintes et les ont préservées. Ces empreintes sont restées enfouies durant des dizaines de millions d’années, jusqu’à ce que les Andes se forment. Les mouvements tectoniques responsables de la formation des Andes ont plissé les sédiments contenant les empreintes, et les ont basculées presque à la verticale, comme nous les observons aujourd’hui.





Ecouter Klaus est un réel plaisir tant il est passionné par le sujet. « Vous savez, l’étude de ces empreintes nous apporte beaucoup plus d’informations sur la vie des dinosaures que l’étude des ossements fossiles. Par exemple, vous voyez en face, il est possible de suivre les traces de 3 animaux regroupés, dont un petit qui était au milieu des deux autres. Cela signifie que les dinosaures étaient des animaux sociaux, et qu’ils se déplacaient en groupe, et en protégeant leurs petits. »

Au fur et à mesure qu’il nous raconte ses histoires, il nous semble que le mur commence à prendre vie, et que des dinosaures se mettent à marcher devant nous. Quelle fascination de s’imaginer qu’il y a plus de 80 millions d’années, ces animaux légendaires ont foulé le sol. Des géants de plusieurs mètres de haut, des scènes de chasse, de vie et de mort. Tout un écosystème disparu, englouti à jamais dans les affres du temps.



Site internet

Parc Cretacico : http://parquecretacicosucre.com/