dimanche 5 juillet 2009

Le lac Titicaca (Bolivie, 05/07/09)

Un soleil radieux baigne les rives du lac Titicaca, que nous longeons depuis plusieurs dizaines de kilomètres. Les eaux bleu sombre du lac sacré des Incas semblent cacher un mystère depuis la nuit des temps. Le lac est en fait un couple de lacs, séparés par un détroit de quelques kilomètres de large seulement, et que nous traversons sur des barges rustiques, à la limite de la flottaison, les barques se déformant, se tordant et grinçant à chaque vaguelette. Après la traversée, la route s’élève dans des collines assez élevées, ralentissant sensiblement notre vitesse de progression, si bien que nous nous trouvons contraints de bivouaquer au milieu des montagnes pelées, où aucun arbre et aucun relief ne peut cacher la tente de la route, hormis un remblai situé à quelques mètres seulement de la chaussée. Nous y montons la tente, quelque peu inquiets d’être si près de la route, et cachons les vélos un peu en contrebas. La nuit qui se prépare est belle et fraîche, illuminée par un beau clair de lune.





Mais à deux heures du matin, je me réveille subitement : des voix étouffées proviennent de la route. Que font ces gens, apparemment deux personnes, en plein milieu de la montagne à cette heure de la nuit, loin de toute habitation ? Loin d’être rassurés, nous écoutons approcher ces voix intruses, le souffle en suspend. Des dizaines des scénarios nous passent par la tête : veulent-ils nous voler ? Nous attaquer ? Nous nous tenons prêts à toute éventualité. Les voix se rapprochent de plus en plus, pour n’être plus qu’à quelques mètres de la tente. Notre tension est à son maximum, tous nos sens en éveil, la sueur coulant de tous les pores de notre peau. Mais à notre grand soulagement, les voix s’éloignent puis disparaissent dans la nuit bolivienne. Nous soufflons de soulagement : ils n’ont pas vu la tente, ni les vélos, et nous pouvons nous rendormir.

Sur le point de retourner dans les bras de Morphée, deux autres voix nous parviennent de nouveau depuis la route. De nouveau en alerte, tous nos sens en éveil, nous constatons avec soulagement que ces deux nouvelles voix s’éloignent également avant de s’évanouir dans la nuit. Nous sommes circonspects : qui sont ces gens et que font-ils ici ? Et ce n’est pas fini ! Quinze minutes plus tard, ce ne sont pas deux mais un groupe entier de voix qui parviennent à nos oreilles, des voix masculines mais également féminines. « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? », soufflais-je à Caro. Notre tension est à son comble, et nous croisons les doigts pour qu’ils n’aperçoivent pas notre tente, ni les vélos. De nouveau, et à notre grand soulagement, tout ce petit monde nocturne passe sans nous voir, et disparaît dans la nuit. Ce sera notre dernière visite nocturne.

Au petit matin, nous nous levons fatigués après cette nuit agitée, et entamons la descente sur Copacabana, station balnéaire des rives du lac Titicaca, qui n’a rien à voir avec son homonyme brésilienne. Nous pensons y rester quelques heures puis repartir en direction du Pérou, tout proche. Mais en arpentant les rues colorées de la petite ville où les habitants de La Paz viennent en masse pour baptiser leur voiture (véridique !), nous apercevons un gros camping-car qui tente de se défaire de la foule sur la place principale. « Tiens, on dirait des français », dis-je à Caro. En sortant de la cohue, le camping-car se dirige droit vers nous en lançant des appels de phare en notre direction. Je reconnais alors le chauffeur et l’immatriculation 34 (Hérault). « C’est la famille Mériguet ! », celle qui nous a monté de San Pedro de Atacama à la frontière bolivienne, plus d’un mois auparavant. Quelle bonne surprise ! Olivier (le père), est un grand chauve, doté d’une langue bien pendue (ça vous rappelle quelqu’un ?), et nous passons finalement toute l’après midi en leur compagnie. Mieux, nous organisons même la journée du lendemain pour visiter l’île du Soleil, en face de Copacabana, l’île où serait né le soleil dans la mythologie inca. Nous nous arrangeons avec un pilote de bateau, Renan, un bolivien local aux allures sympathiques, un joli chapeau vissé sur la tête. Il nous emmènera à 7h30 demain matin, et nous reprendra de l’autre côté de l’île à 16h30.



Le lendemain, à notre grande surprise, Renan est au rendez-vous. Nous embarquons à bord, et nous voilà partis pour deux heures de coquille de noix à la vitesse d’un éléphant à la nage. En arrivant sur l’île, Renan nous dit : « Il vous faut 1 heure pour aller visiter les ruines, puis 3 heures pour traverser l’île. Je reviens vous chercher à 14h ». Notre ami vient donc de changer notre arrangement de la veille : « Pas question ! », lui répondais-je. « Nous nous sommes arrangés et nous avons payé pour que tu viennes nous chercher à 16h30 ». Il prétexte alors qu’il doit revenir sur l’île après nous avoir emmené à Copacabana, et que ça va le faire rentrer trop tard. « Ce n’est pas notre problème », lui glisse alors Olivier Mériguet. « Tu n’avais qu’à nous le dire hier ». Nous trouvons alors un compromis : 16h.



Nous prenons le petit déjeuner tous ensemble sur la plage, en face des eaux étincelantes du lac et des sommets enneigés et englacés de la Cordillère Royale. En nous retournant, nous apercevons notre ami Renan s’engouffrer dans une petite échoppe, et se commander une bière en prenant place à une table en compagnie de ses amis. « C’est pas gagné qu’on le retrouve ce soir … »




Nous quittons le petit port en direction de ruines incas, au bout de la péninsule occidentale de l’île. Le temps est magnifique et le soleil radieux. Le sentier quitte le site archéologique en traversant toute l’île sur sa longueur, en gravissant des petites collines à plus de 4000 mètres (le lac est à plus de 3800 mètres d’altitude). Plusieurs heures plus tard, nous arrivons en vue du petit village de Fuente del Inca, surplombant le petit port où Renan doit nous attendre. Le sentier dévale les flancs abrupts de l’île le long d’un magnifique escalier qui débouche directement sur le petit port. Un mauvais pressentiment me taraude l’esprit : Renan sera-t-il là pour nous attendre ? Nous auscultons tous les bateaux présents, mais aucun ne porte le nom de Sol Andino que nous recherchons. Nous demandons alors aux personnes présentes s’ils avaient vu partir le bateau de Renan. Tous nous répondent qu’il n’est pas encore arrivé, puis ils parlent entre eux en Quechua, un large sourire aux lèvres, visiblement en se moquant de nous. Nous n’aimons pas ça du tout, et sentons que les gens savent ce qui se passe mais qu’ils refusent de nous expliquer quoi que ce soit. Pire, ils se payent notre tête, c’est si drôle de se moquer de ces maudits « gringos ». Trois quart d’heure plus tard, Renan n’est toujours pas arrivé, et nous devons bien nous rendre à l’évidence : il ne viendra pas.


Le soleil commence à descendre à l’horizon, et nous n’avons aucun envie de passer la nuit sur l’île, d’autant que nous n’avons pas d’argent pour payer un quelconque logement. Voyant notre présente situation, les insulaires nous abordent en nous proposant de nous ramener à Copacabana pour un prix ridiculement élevé. Finalement, après négociation, nous parvenons à baisser le prix au niveau de notre premier arrangement avec Renan. A 5h, nous quittons enfin l’île, à notre grand soulagement. Mais un quart d’heure plus tard, notre pilote stoppe son moteur : « Il faut payer maintenant ». Mais au lieu du prix convenu, il nous demande son prix initial, le prix fort ! Nous sommes pris en otage au milieu des eaux du lac Titicaca. Nous avons beau rouspéter, rien n’y fait, notre homme ne veut rien entendre. Seulement, il a sous-estimé un paramètre important. Olivier Mériguet est un ancien basketteur professionnel, de ma taille mais d’une carrure impressionnante, qui plus est doté d’un caractère entier du sud de la France. Hors de lui, Olivier explose de colère et saute de son siège en fondant sur notre pilote, s’apercevant alors de la carrure d’Olivier, et donc de son erreur. Devenu blême, il est assailli par Olivier, et pour être honnête, j’ai bien cru qu’il passerait par-dessus bord. Lui aussi je pense, car cinq secondes de cette « discussion » inégale suffiront pour le faire fléchir, et revenir au prix convenu.


Balbutiant son accord, notre pilote redémarre fébrilement son moteur, et nous repartons. Mais pour se venger, il mettra son moteur au minimum de puissance et s’arrêtera pour simuler une panne d’essence, afin que nous arrivions le plus tard possible à Copacabana. Loin de nous en affliger, nous éclatons tous de rire devant le ridicule de cet homme rongé par la cupidité, et profitons au maximum des paysages magnifiques du coucher de soleil sur le lac Titicaca et la Cordillère Royale. A la nuit tombée, nous débarquons enfin au port, où nous finissons autour d’une table bien garnie pour digérer cette journée à la fois magnifique et ridicule. Il est temps pour nous de quitter ce pays où les comportements cupide et raciste des gens nous sortent par les yeux. Demain, nous serons au Pérou, où d’autres surprises nous attendent.