vendredi 24 juillet 2009

Bonnie and Clyde se font la malle

Après une semaine passée à Cusco, la ville impériale des incas, nous poursuivons notre route vers Lima. Un temps ramollis par la vie citadine, nous reprenons la niaque et l’envie de pédaler. En trois jours, nous parcourons plus de 150 kilomètres, dont un col de 1200 mètres de dénivelée. Fort de notre motivation et si près du but, nous élaborons le programme du retour en France : ne voulant pas finir sur un retour en avion, puis en train et en voiture, nous planifions de rejoindre la Normandie natale de Caroline en vélo, puis de traverser la France pour terminer dans l’Ain, et rendre visite aux écoles qui nous suivent, toujours en selle. Fiers de notre programme, nous entrevoyons déjà l’accueil chaleureux des enfants, leurs yeux émerveillés sur ces vélos qui auront parcouru tant de distance dans ces contrées aussi légendaires.





Ce jour là, nous avons gravi plus de trente-cinq kilomètres de côte. Il se fait tard et nous sommes épuisés. Au détour d’un virage, nous apercevons un petit village composé de quelques bicoques en briques de terre séchée et d’une petite église, entourée d’une jolie pelouse suffisamment plate pour y monter la tente. Nous nous y arrêtons, exténués, mais contents de notre journée et du planning du retour. En nous dirigeant vers le petit coin d’herbe, une jeune garçon répondant à l’illustre nom de Jules César nous accoste poliment, et nous aide à nous installer. Il nous présente aux gens de la petite communauté qui habite ce village, et tous nous autorisent à nous y installer pour la nuit.






A bout de forces, nous montons la tente et nous effondrons à l’intérieur. Le père de Jules César nous rend visite. « Bonsoir. Je serais honoré si vous acceptiez mon invitation à passer la nuit chez moi, en notre compagnie. Et puis vous pourrez mettre les vélos à l’intérieur ». Très touchés par son hospitalité, nous déclinons néanmoins son invitation, tant nous sommes fatigués à ne plus avoir la force de sortir de la tente dans laquelle nous sommes confortablement blottis. Et puis que pourrait-il arriver à nos vélos, nous sommes en plein milieu de la cordillère ? Nous le remercions chaleureusement, plaçons les vélos à quelques centimètres de la tente, attachés ensembles par un cadenas, et nous endormons quelques minutes plus tard, terrassés par la fatigue de la journée.



Nous ne nous réveillons que 10 heures plus tard, le jour pointant déjà à l’horizon. Encore courbaturés de la veille, nous prenons tranquillement le petit déjeuner. Alors que nous rangeons nos affaires, Jules César nous rend visite pour nous donner un coup de main. En arrivant devant la tente, il jette coup d’un œil de côté. « Tiens, vous avez finalement décidé de laisser vos vélos chez mon père cette nuit ? » Voyant notre regard circonspect, il s’empresse d’ajouter : « Parce qu’ils ne sont pas à côté de la tente ». Un électrochoc nous secoue. Nous nous précipitons dehors pour constater que Jules César ne plaisantait pas : le côté de la tente est vide, désespérément vide, les vélos ont disparu ! Tout s’effondre ! La perspective de l’arrivée à Lima, la traversée de la France à notre retour et la visite des écoles.

La gorge serrée, nous cherchons, paniqués, tout autour de nous. Peut-être s’agit-il d’une mauvaise plaisanterie des enfants de la communauté ? Peut-être le père de Jules César a-t-il finalement décidé de les ranger chez lui pour plus de sécurité ? En cherchant dans les possibles cachettes, nous ne trouvons rien, et nous nous rendons peu à peu l’évidence cruelle : on nous a volé les vélos pendant notre sommeil. Tous les gens de la communauté se rassemblent devant la petite église autour de nous. « Il fallait accepter notre hospitalité », nous reprochent-ils, « cela ne se serait pas passé. C’est la honte qui s’abat sur toute la communauté. Vite, il faut vous rendre à Currahuasi pour porter plainte, et revenir avec les policiers visiter toutes les maisons, vos vélos s’y trouvent certainement cachés ».





L’ « enquête » est une farce. Les policiers interrogent quelques passants, écoutent les témoignages des uns et des autres. Un homme de grande taille et aux yeux d’un bleu turquoise les accoste. « Le voisin en face, c’est un rat puant. Je suis sûr que c’est lui ! » Les policiers le remercient, semblent réfléchir, hochent doucement la tête, et se retournent vers moi : « Nous avons un suspect ». L’homme qu’ils suspectent n’est autre que le poivrot du village, incapable de marcher droit et encore moins de porter une lourde charge. Qui plus est, ses pas lourds évoquent ceux d’un éléphant. En aucun cas il n’aurait pu porter nos vélos sans que nous ne l’ayons entendu. Et puis, nous venions de fouiller sa maison, où nous n’avions rien trouvé…

Tous nos espoirs s’envolent en constatant l’inefficacité de la police. Les gens de la communauté sont eux-mêmes déboussolés par leur comportement. Désormais d’aucune utilité, les policiers se retirent, et nous laissent dans notre triste situation. Toute l’après midi, nous resterons seuls à fixer notre tente orpheline, sur laquelle plane l’ombre de nos vélos. Les gens de la communauté, remplis de honte, n’osent même plus nous rendre visite, exacerbant notre sentiment de solitude et de tristesse.

Pour finir, nous retournons à Cusco chargés de nos sacoches. En taxi, puis en bus, nous reprenons la route que nous avions parcours les jours précédents. Chaque virage est un crève-cœur, chaque petit village est un coup de poignard. « Tu te rappelles, nous avions mangé là. Et là, nous avions fait une pause ». Des milliers d’images défilent dans notre esprit, tous les souvenirs de notre aventure ressurgissent comme pour nous faire encore plus mal. Huit mois de rencontres, de bonheur et parfois de souffrance, dans des paysages hors du commun. Prostrés, la tête contre la vitre du bus, nous pleurons en silence. La Géoroute Andine est terminée.